Complot écolo en Inde ?
Résolu à industrialiser le pays à marche forcée sans se soucier du coût pour l’environnement, le nouveau gouvernement nationaliste accuse les organisations de défense de l’environnement, Greenpeace en tête, de tous les maux.
En arrivant à l’aéroport de New Delhi, fin septembre, Ben Hargreaves était loin de se douter qu’il allait être dans l’obligation de reprendre illico un vol pour l’Angleterre. C’est pourtant ce qui s’est passé. Venu assister à une conférence, cet activiste de Greenpeace, dont le visa était parfaitement valide, n’a eu d’autre choix que de plier bagages, tandis que d’autres membres de l’ONG étaient interrogés par la police.
Énième rebondissement d’un feuilleton commencé au mois de juin… Le nouveau gouvernement conservateur de Narendra Modi a en effet décidé de surveiller de près les activités de Greenpeace India et de geler ses financements étrangers, ce qui oblige l’ONG à soumettre chacune de ses transactions à l’examen préalable de la Banque centrale.
>>> Lire aussi: Croissance en Inde: coup de poker à New Delhi
Opposée à divers projets industriels comme l’exploitation par le conglomérat pétrolier Essar de mines de charbon dans le Madhya Pradesh, dans le centre du pays, Greenpeace apparaît aux yeux des services secrets comme une "menace potentielle pour la sécurité économique nationale". Dans un rapport ultra-confidentiel destiné au Premier ministre dont la presse a eu connaissance, l’Intelligence Bureau (IB) affirme que l’organisation écolo soutient financièrement par le biais du réseau Coal Network des mouvements de contestation dans divers lieux consacrés à l’extraction du charbon.
À l’en croire, "les bailleurs étrangers transforment les ONG en instruments au service des intérêts stratégiques occidentaux". En 2011-2012, 13 000 organisations auraient ainsi touché 1,4 milliard d’euros d’aides étrangères. Une vision "complotiste" que dénoncent nombre de citoyens et de médias. "La main de l’étranger est de retour !" s’indigne Megha Bahree sur son blog hébergé par Forbes. Elle y voit le prétexte à une sérieuse remise en cause de la liberté d’expression de la société civile, même si, elle l’admet, "les ONG devraient de leur côté s’attacher à rendre plus transparentes leurs sources de financement".
Greenpeace n’est pas la seule à être dans le viseur des services secrets. "Toutes les ONG jugées hostiles au développement économique sont suivies de près par les services du ministère de l’Intérieur, confirme Balveer Arora, président du Centre for Multilevel Federalism. Sont concernées les ONG, multinationales ou locales, les organisations spécialisées dans la défense de certaines communautés, comme les adivasis (aborigènes) ou les musulmans, ou travaillant dans des zones sensibles, frontalières par exemple."
Les actions de ces ONG amputeraient la croissance du PIB de 2 à 3% par an
Depuis qu’elle s’intéresse aux forages pétroliers dans le Manipur, aux grands barrages de l’Arunachal Pradesh ou aux projets miniers au Meghalaya, la néerlandaise Cordaid est devenue la cible, de même que, dans une moindre mesure, Amnesty International, ActionAid ou Survival International.
Selon l’IB, les activités de ces ONG amputeraient chaque année la croissance du PIB de 2 % à 3 % ! Une estimation que le rapport ne précise pas et que d’autres données viennent contredire. À commencer par celles de la Banque mondiale, selon lesquelles la dégradation de l’environnement coûterait à l’Inde 5,7 % de son PIB. Toujours selon Balveer Arora, "cette forme de pression exercée par les services du ministère de l’Intérieur est assez courante", même si, au fil du temps, "les raisons invoquées peuvent varier".
Quoi qu’il en soit, le bras de fer a toutes les chances de se durcir : le gouvernement a fait du développement industriel son cheval de bataille, et le mot "concession" ne fait manifestement pas partie de son vocabulaire. En à peine quatre mois, il a déjà assoupli plusieurs règles visant à protéger les forêts et facilité l’adoption de cent quarante projets industriels. Les ONG l’ont fort bien compris : leur combat risque de devenir très, très compliqué.
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