Allemagne, la crise d’asthme
Les mauvaises nouvelles se succèdent, l’économie s’essouffle et le spectre de la récession menace. Mais Angela Merkel refuse d’infléchir sa politique. Louable opiniâtreté ou obstination suicidaire ?
Une rafale de mauvaises nouvelles vient de doucher l’orgueil allemand. Il y a dix jours, on a appris que, sur le plan économique, le mois d’août avait été catastrophique : baisse de 5,8 % des exportations, de 4 % de la production industrielle, de 5,7 % des commandes de l’industrie… Plus grave encore, l’automobile, fleuron de l’industrie locale, a été frappée de plein fouet : – 25,4 %.
Le 14 octobre, le gouvernement d’Angela Merkel a pris acte de ce coup de froid, d’ailleurs annoncé par les grands instituts de conjoncture et par le FMI : il a abaissé de 1,8 % à 1,2 % sa prévision de croissance pour 2014 ; et de 2 % à 1,3 % pour 2015.
"Il est clair que la dynamique économique ralentit", a commenté Sigmar Gabriel, le ministre de l’Économie. Le tabloïd Bild s’en inquiète : "Mais qu’est-ce qui nous arrive ?" Du coup, certains experts n’hésitent pas à agiter le spectre de la récession.
Avec un excédent commercial avoisinant 200 milliards d’euros et un taux de chômage de 6 %, le gouvernement est exposé aux vents mauvais en provenance de Russie, d’Ukraine, du Moyen-Orient et de pays émergents comme la Chine, qui restreignent leurs commandes à l’industrie allemande. Mais certains spécialistes ne se contentent pas de cette explication.
Président de l’institut berlinois DIW, Marcel Fratzscher est de ceux-là. Dans un livre récent, Die Deutschland-Illusion ("Allemagne, l’illusion"), il tente d’ouvrir les yeux de ses compatriotes sur les défauts du modèle allemand. Citons-en deux. Le premier est que les investissements dans les infrastructures ne cessent de baisser depuis vingt ans. Le réseau routier et la production énergétique sont, par exemple, indignes de la quatrième économie mondiale et commencent à handicaper sa compétitivité.
Le second est le recul démographique : chaque année, le nombre des décès l’emporte sur celui des naissances de quelque 200 000 unités. Aux alentours de 2050, l’Allemagne et la France auront à peu près la même population, ce qui incite le quotidien britannique The Daily Telegraph à penser que cette dernière surclassera alors sa cousine germaine.
Le FMI suggère à Angela Merkel d’investir 200 millions d’euros dans les infrastructures
Faut-il en conclure que le fameux "modèle" allemand est à bout de souffle ? Ce serait aller trop vite en besogne, répond Laurence Nayman, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) de Sciences-Po. Certes, explique-t-elle, "les caisses de l’État et celles des entreprises sont pleines, mais la "règle d’or" de l’équilibre budgétaire que l’Allemagne s’impose à elle-même et aux autres pays européens la pénalise".
Les investissements dans les infrastructures ne cessent de baisser depuis 20 ans.
Les partis de la grande coalition au pouvoir étant d’accord pour ne plus augmenter les impôts, il n’est donc pas question d’augmenter les dépenses. Ce qui veut dire, poursuit Nayman, que "la contraction de la demande domestique affectera la production ; et comme la demande est aussi bloquée dans les pays émergents…" Les Allemands tentent de repousser les limites de leur modèle. "Ils investissent aux États-Unis, en Chine ou en Turquie pour profiter de coûts salariaux inférieurs à ceux de leur pays, mais cette course folle débouche sur la déflation et provoque une panne de l’économie." Conclusion : "l’Allemagne va devenir un pays rentier."
À court terme, le débat est le suivant : faut-il ou non donner un coup de fouet à l’économie allemande ? Américains, Français et Italiens supplient Angela Merkel de consentir à une relance budgétaire. Le FMI lui suggère d’investir 0,5 % du PIB, soit environ 200 millions d’euros, dans les infrastructures. "Nein", répond-elle de concert avec Wolfgang Schäuble, son ministre des Finances.
Le cap est inchangé : pour la première fois depuis 1969, le budget 2015 sera en excédent. Pas question, donc, de rejoindre le camp des mauvais élèves européens. De même, Sigmar Gabriel refuse d’écouter "les excités" qui pressent son pays d’accepter une petite dose de déficit. Pour lui, aucun doute : "Faire des dettes en Allemagne ne créerait pas de croissance en Italie, en France ou en Grèce."
Certes, mais Merkel peut-elle, en restant les bras croisés, prendre le risque d’une croissance médiocre chez elle comme en Europe, son principal client, au risque de donner des armes à Alternative für Deutschland (AfD), le parti d’extrême droite qui a réalisé une percée remarquée aux dernières élections européennes ?
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