Un Michel peut en cacher un autre

Le nouveau Premier ministre se prénomme Charles et n’a que 38 ans. Mais il a de qui tenir. Louis, son père, est un vieux briscard de la politique locale. Et de la « Belgafrique ».

Charles Michel en février 2014 © Nicolas Maeterlinck/AFP

Charles Michel en février 2014 © Nicolas Maeterlinck/AFP

ProfilAuteur_EliseColette

Publié le 24 octobre 2014 Lecture : 6 minutes.

Leurs destins ne sont plus liés depuis plus de cinquante ans, mais Belges et Congolais continuent de partager (au moins) deux choses : l’amour de la bière et la difficulté à former un gouvernement. Sur ce dernier point, l’ex-empire vient de coiffer au poteau son ancienne colonie.

Alors que Joseph Kabila est censé nommer son nouveau Premier ministre depuis bientôt un an, le roi des Belges a fait prêter serment au sien le 11 octobre, quatre mois et demi après les élections. Presque un exploit dans un pays empêtré depuis des années dans des crises communautaires à répétition, et où chaque scrutin fédéral débouche sur d’interminables convulsions.

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C’est un homme jeune qui, cette fois, s’installe au 16 rue de la Loi, à Bruxelles. Jeune, mais pas novice : il a déjà vingt ans de politique derrière lui. À 38 ans, Charles Michel, président du Mouvement réformateur (MR), aura besoin de toute l’énergie de son âge pour installer durablement son équipe au pouvoir. Celle-ci a été fort mal accueillie par l’opposition et par une partie de l’opinion francophone.

C’est en effet la première fois dans l’histoire du pays qu’un Wallon dirige un gouvernement de droite majoritairement constitué de néerlandophones. Parmi ces derniers figurent en outre des membres de la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA), le parti nationaliste flamand de Bart De Wever. Les négociations entreprises par Michel avec les libéraux flamands avaient été qualifiées par certains de "kamikazes". La formation de son gouvernement apparaît à beaucoup comme une "trahison".

Alors, courage ou aveuglement ? En tout cas, personne ne pourra reprocher au nouveau Premier ministre d’avoir manqué d’audace. "C’est un gouvernement très original, explique Pascal Delwit, politologue à l’Université libre de Belgique. Le plus à droite et le moins francophone que le pays ait jamais eu. Il sera peu consensuel, dans un pays habitué à des équipes très centristes." "Charles le Téméraire", comme le surnomment déjà les Belges, a donc marqué le "16" de son empreinte, avant même d’avoir pris le temps de remplacer les tableaux accrochés au mur par Elio Di Rupo, son prédécesseur.

C’est un homme pressé. Partout où il est passé, ou presque, il a été "le plus jeune". Conseiller provincial du Brabant wallon à 18 ans (en 1994), député fédéral à 23, ministre du gouvernement wallon à 24, ministre fédéral à 32 (il a dirigé la Coopération quatre années durant), président de parti à 35…

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Sa carrière fulgurante pourrait faire pâlir d’envie un Nicolas Sarkozy, qui, lui, n’a été élu député qu’à 33 ans. La comparaison ne déplairait sûrement pas à Charles Michel, dont le positionnement politique est proche de celui de l’ancien président français. Son propre père n’a d’ailleurs jamais caché sa proximité avec celui qui brigue aujourd’hui la présidence de l’UMP, sorte de "parti frère" du MR.


Louis Michel au cours d’une conférence de presse à Bruxelles, en 2009.
© John Thys/AFP

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"Bientôt, on parlera peut-être du "père" de Charles Michel!"

Son père ? Oui, Louis Michel, alias "Big Loulou", personnalité incontournable de la politique belge des vingt dernières années. "Charles 1er" – les Belges aiment décidément les surnoms – est donc un héritier. Dans ce pays, les rois ne sont pas les seuls à pratiquer la transmission dynastique du pouvoir…

"Être le fils de Louis Michel a été un atout indéniable dans sa carrière, surtout à ses débuts, Mais il a, par la suite, fait ses preuves, tempère Delwit. On ne devient pas Premier ministre simplement parce qu’on est le fils de quelqu’un." En apparence, les deux hommes se ressemblent. Même crâne dégarni, même nez proéminent – une aubaine pour les caricaturistes ! -, même bouc finement taillé.

Mais la silhouette est plus élancée et le caractère plus rigide chez le fils. Louis ne se prive jamais d’exploser – de rire ou de colère – en public. Charles est moins théâtral, plus discret. Le père reconnaît volontiers que le sérieux de son rejeton lui vient "du côté de sa maman". Reste que, chez les Michel, la politique se fait en famille. Mathieu, le frère cadet, est déjà député provincial… Charles le sait bien : la comparaison avec son charismatique géniteur est inévitable, rituelle.

Il s’est néanmoins efforcé d’y échapper en jouant davantage sur la conviction que sur la séduction. Stratégie payante. Louis a occupé toutes les fonctions politiques possibles et imaginables. Toutes, sauf une : la primature. Celle que, justement, son fils vient de se voir confier. L’intéressé s’en est récemment amusé au micro de RTL TVI : "Bientôt, on parlera peut-être du "père de" Charles Michel !"

L’Afrique centrale rassurée de l’arrivée de Charles Michel à la tête du gouvernement

En attendant, au-delà des frontières de la Belgique, le nouveau Premier ministre pourra toujours compter sur les conseils de son père pour éviter les faux pas. C’est en effet dans le domaine de la politique étrangère que Louis Michel s’est illustré au début des années 2000. Il a notamment permis à son pays de retrouver sa place sur la scène internationale et a rétabli le dialogue avec l’ancienne colonie congolaise.

Fin connaisseur de l’Afrique depuis qu’il a été commissaire européen au Développement, il figure parmi les possibles remplaçants de Bert Koenders à la tête de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma). En Afrique centrale, l’arrivée de Charles à la tête du gouvernement est vue d’un très bon oeil. "Le patronyme Michel rassure, reconnaît un diplomate congolais en poste à Bruxelles. Et puis, il est francophone, libéral, et connaît déjà personnellement Joseph Kabila."

En 2008, quand Karel De Gucht, le ministre des Affaires étrangères de l’époque (un Flamand), avait déclenché une grave crise diplomatique entre les deux pays en mettant publiquement en doute les capacités des dirigeants congolais, c’est Charles Michel que Kabila avait accepté de recevoir pour renouer le dialogue.

"Les liens personnels restent très importants dans la relation belgo-congolaise, poursuit le diplomate. Louis Michel s’est très bien entendu avec Joseph Kabila, il peut être considéré comme son parrain en politique. Avec son fils, l’effet générationnel devrait jouer un rôle positif. Ni le roi Philippe, ni Joseph Kabila, ni Charles Michel n’ont connu la colonisation." Les trois hommes ont un autre point commun : une ascendance illustre qui a beaucoup marqué leur parcours.

L’industrie belge à Kinshasa

Bien sûr, Charles Michel connaît beaucoup moins bien le Congo que son père, mais sa proximité avec les milieux d’affaires belges n’est pas pour déplaire à Kinshasa. Les empires industriels belges encore présents dans l’ex-Zaïre comme Forrest, Bia ou Moerloose ont tous leurs sièges à Wavre, la très cossue capitale du Brabant wallon, dont le bourgmestre (maire) se trouve être un certain Charles Michel (désormais suppléé par son adjoint).

Lire aussi: Les Belges au Congo: prospères dynasties d’affaires

Mais avant de songer à ses futurs déplacements à l’étranger, le nouveau Premier ministre va avoir fort à faire pour résister aux attaques de l’opposition, maintenir l’équilibre précaire de son équipe et lutter contre la crise économique.

La diplomatie devrait donc être principalement pilotée par Didier Reynders, qui reste ministre des Affaires étrangères, mais un voyage de "Michel junior" sur les rives du fleuve Congo serait sans nul doute apprécié, la dernière visite officielle d’un Premier ministre belge remontant à 2006. Accessoirement, cela lui permettrait de comparer le goût de la Tembo à celui des bières de son pays, dont il se déclare grand amateur.

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