Israël : ces femmes juives en burqa
Mues par une obsession névrotique de la chasteté, des femmes issues du milieu ultraorthodoxe revendiquent le port du voile intégral. Sous l’oeil réprobateur des instances rabbiniques.
La scène se déroule fin juillet à Jérusalem. En pleine guerre à Gaza, la ville est en état d’alerte par crainte d’attentats. Une femme se dirigeant vers l’entrée du mur des Lamentations attire l’attention des agents de sécurité. Malgré la chaleur écrasante, elle porte d’épais vêtements grossièrement recouverts par une immense cape noire qui cache son visage. Un garde lui ordonne de s’arrêter, mais la femme fait mine de ne pas comprendre et poursuit sa route.
Pensant avoir identifié un kamikaze, il tire un premier coup de semonce, sans succès, avant de viser les jambes de la suspecte, qui s’écroule aussitôt. Plusieurs policiers se ruent sur elle et constatent, stupéfaits, qu’il s’agit d’une Juive religieuse âgée d’une trentaine d’années. La victime, originaire du quartier ultraorthodoxe de Mea Shearim, était vêtue d’une frumka improvisée, qui, à la manière de la burqa afghane, recouvrait son corps intégralement.
Pour éviter la confusion avec les musulmanes, les femmes qui s’imposent cette tenue l’ornent parfois d’une étoile de David. Le phénomène est apparu il y a une dizaine d’années dans certaines communautés haredim (les "craignant-Dieu"), qui souhaitent appliquer de manière stricte les règles de pudeur ("tsniout", en hébreu) du Talmud et "hâter la venue du Messie". Destinée à se protéger du regard des hommes, et plus généralement du monde extérieur, jugé impur, la frumka se compose d’un attirail de sept voiles, dix jupes et des gants noirs pour dissimuler la forme des mains.
>>> Lire aussi: Juifs et musulmans, les meilleurs ennemis
Le conseil rabbinique interdit le port de la frumka
Cette obsession névrotique de chasteté reste encore très minoritaire dans le monde juif orthodoxe. Basé à Jérusalem, le mouvement sectaire Keter Malkhout ("Couronne royale") revendique toutefois près de 10 000 membres à travers Israël. Un chiffre largement supérieur à la centaine d’adeptes recensés par les autorités religieuses, lesquelles rejettent fermement cette pratique.
En 2010, le conseil rabbinique avait publié un premier décret interdisant le port de la frumka. "Nous avons la Torah et nous avons une tradition, et ces choses n’ont jamais été autorisées ou exigées, affirme le rabbin Shmuel Pappenheim, représentant du courant orthodoxe conservateur. Nous y voyons un réel danger et une exagération qui débouche sur un résultat exactement opposé à celui recherché : de graves transgressions."
À Bet Shemesh, une ville où les tensions entre laïcs et religieux se font de plus en plus fortes, la frumka a été portée et longtemps encouragée par Bruria Keren, épouse d’un rabbin fanatique, qui disait défendre une tradition séfarade vieille de quatre cents ans.
En 2009, au terme d’un procès retentissant, elle fut condamnée à quatre ans de prison pour avoir abusé sexuellement de ses douze enfants, avec la complicité de son mari. Surnommée la "mère taliban" par la presse israélienne, Keren était poursuivie pour vingt-cinq chefs d’accusation, dont maltraitance. Des membres de cette secte ultraorthodoxe sont régulièrement épinglés pour des affaires de pédophilie, d’inceste ou de mariage forcé.
Malgré ces scandales à répétition, de petites organisations continuent de revendiquer le port de la frumka. Héritière de Bruria Keren, la rabbanit Bracha Benizri, qui dirige Keter Malkhout, s’estime en mission pour lutter contre la "décadence" du monde juif orthodoxe. "Doucement mais sûrement, de plus en plus de femmes adhèrent à mes principes", assure-t-elle.
En dehors d’Israël, cette mouvance compte aussi des adeptes plus ou moins autonomes, comme la communauté Lev Tahor, installée au Canada.
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