OIF – Pierre Buyoya : « Je me considère comme un réformateur »
À deux reprises, il a pris le pouvoir par les armes. Mais l’ex-président burundais Pierre Buyoya est convaincu que cela ne l’empêchera pas d’obtenir le poste de secrétaire général de la Francophonie, en novembre.
Des cinq principaux candidats à la succession d’Abdou Diouf au poste de secrétaire général de la Francophonie, le Burundais Pierre Buyoya, 65 ans en novembre, est le seul ancien chef d’État. Le hic, surtout lorsque l’on souhaite briguer la tête d’une organisation aussi policée que l’OIF, c’est qu’il a accédé par deux fois au pouvoir en treillis, à la faveur d’un coup d’État.
Le tombeur de Jean-Baptiste Bagaza et de Sylvestre Ntibantunganya fait donc campagne avec une étiquette d’ancien putschiste collée au front – ce qu’adversaires et détracteurs ne manquent d’ailleurs pas de rappeler à chaque fois qu’ils le peuvent, alimentant même la rumeur (fausse) qu’il serait interdit de séjour ici ou là.
Buyoya n’en a cure, sa défense est simple : l’accession au pouvoir est une chose, son exercice en est une autre. En la matière, il est vrai qu’il n’a guère de leçons à recevoir. Il a beaucoup oeuvré pour la démocratie au Burundi (en instaurant notamment le multipartisme et en organisant les premières élections libres), les libertés individuelles et la réconciliation entre Hutus et Tutsis.
Enfin, battu par Melchior Ndadaye en 1993 lors d’un scrutin qu’il a lui-même organisé, il a reconnu sa défaite et a laissé son fauteuil de président. Depuis, il arpente le continent au chevet d’innombrables crises. En 2012, il a été nommé haut représentant de l’Union africaine pour le Mali et le Sahel. De passage à Paris, il est venu au siège de J.A., le 13 octobre, pour répondre à nos questions et défendre sa candidature. Droit dans ses bottes, cet ancien militaire formé en Europe sait aussi faire preuve de diplomatie.
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JEUNE AFRIQUE: Vous connaissez bien l’OIF, pour l’avoir servie au cours de ces dix dernières années. Quel rôle avez-vous joué ?
Pierre Buyoya : Après que j’ai quitté le pouvoir en 2003, la Francophonie m’a sollicité pour des missions d’observation des élections. Je suis allé en Guinée-Bissau, pour les législatives d’avril 2004, puis en Mauritanie, en Centrafrique, au Cameroun et enfin au Bénin, à l’occasion de la présidentielle de mars 2011. J’ai également effectué des missions de médiation, comme ce fut le cas en Centrafrique, en 2008.
Quelle fut la mission la plus complexe que vous ayez eu à accomplir ?
Si je devais n’en citer qu’une, ce serait le Niger, en 2009. À ce moment-là, le président Mamadou Tandja s’accrochait au pouvoir, et nous avions été envoyés pour le convaincre de ne pas briguer un autre mandat. Nous n’avons pas réussi. C’était prévisible. Un jour, j’ai demandé au secrétaire général [Abdou Diouf] pourquoi toutes les situations de crise m’étaient en quelque sorte réservées. Il m’a répondu : "Parce que vous êtes spécialiste des questions compliquées."
Vous êtes l’unique candidat à avoir exercé les fonctions de chef d’État. Néanmoins, vous n’avez jamais été élu. Vous êtes arrivé au pouvoir par la force, et ce à deux reprises, en 1987 et en 1996. N’est-ce pas un handicap ?
On ne m’en a, en tout cas, jamais directement fait le reproche, et cela n’a pas empêché la Francophonie et l’Union africaine de me confier de nombreuses missions. Ce qui parle pour moi, c’est mon bilan, et les chefs d’État me connaissent ; ils savent que je suis un ardent défenseur de la démocratie. Cet attachement ne se montre pas seulement par la manière dont on arrive au pouvoir, mais aussi par celle dont on exerce le pouvoir. Je pense en avoir fait la preuve de manière irréprochable. D’ailleurs, en 1993, je me suis présenté à l’élection présidentielle : je n’ai pas gagné, et j’ai respecté le verdict des urnes.
Mais vous avez refait un coup d’État trois ans plus tard…
Oui, mais à l’époque, une situation insurrectionnelle prévalait au Burundi. Le pays tout entier était menacé de "somalisation" : l’État était en pleine décomposition, et on a fait appel à moi pour gérer cette situation catastrophique. Ce sont les accords d’Arusha qui, en 2000, ont marqué le véritable début de la démocratie au Burundi. Ils constituent un acte fondateur, et j’en suis aussi fier que de l’introduction du multipartisme ou du partage du pouvoir entre ethnies. Encore une fois : les chefs d’État savent ce que j’ai fait et pourquoi je l’ai fait.
>>> Lire aussi: OIF: qui pour succéder à Abdou Diouf?
Et qu’en est-il en dehors, en Europe ou en Amérique ?
En 1993, j’ai été reçu à l’université Yale, aux États-Unis. Dix ans plus tard, j’ai résidé dix-huit mois aux États-Unis, où, rattaché à l’université Brown, j’ai préparé un livre sur les négociations interburundaises. J’y ai été reçu comme un expert de terrain, comme un démocrate et comme un homme de paix.
Vous êtes parfois qualifié de "putschiste consensuel". Cela vous agace-t-il ?
Les autres peuvent bien m’appeler comme ils veulent. Moi, je me considère comme un réformateur. J’ai oeuvré dans les situations les plus compliquées pour ranimer l’espoir. Je négocie, je gère les transitions. Je suis un militant de la paix.
Est-il vrai que vous êtes interdit d’entrée sur le sol canadien ?
Je sais que certains de mes détracteurs ou de mes concurrents veulent faire barrage à ma candidature et font courir de fausses rumeurs. Cela ne me choque même pas. La vérité, c’est que personne n’a de raisons de me refuser l’entrée sur son territoire. Je me suis déjà rendu à plusieurs reprises aux États-Unis et au Canada ces dernières années, et je dois prochainement y retourner puisque je suis invité à donner une conférence à l’université de Montréal.
Estimez-vous avoir fait une bonne campagne ?
Oui. J’ai vu beaucoup de monde, j’ai multiplié les prises de contact. Ma candidature est appréciée, et nombreux sont ceux qui sont persuadés que je peux apporter beaucoup à la Francophonie. Je suis confiant : les chefs d’État me choisiront.
Pierre Buyoya et ramtane lamamra, à l’époque comissaire de l’Union africaine à la Paix et la Sécurité, en février 2013.
© Geert Vanden Wijngaert / AP / SIPA
Le Congolais Henri Lopes veut privilégier une Francophonie culturelle, tandis que la Canadienne Michaëlle Jean et le Mauricien Jean Claude de l’Estrac veulent mettre l’accent sur l’économie. Et vous ?
L’OIF ne doit pas s’occuper seulement de politique, de culturel ou d’économie. L’organisation a évolué : elle n’est plus seulement une agence de coopération, mais une organisation politique internationale crédible et reconnue. C’est sur cet acquis que je compte bâtir.
Quelle est votre valeur ajoutée ?
J’ai de l’expérience politique et diplomatique. J’ai aussi une connaissance intime du terrain en matière de paix et de sécurité, ce qui n’est pas forcément le cas de mes concurrents, dont certains n’ont visité que quatre ou cinq pays d’Afrique francophone. Moi, je suis allé partout, sans exception.
Retrouvez aussi : L’interview vidéo de Pierre Buyoya
Concrètement, quelles sont vos propositions ?
J’ai présenté quinze propositions. Je compte mettre en place un collège de médiateurs avec des personnalités du monde francophone pour renforcer cette diplomatie discrète propre à l’OIF. Je pense également que l’OIF doit contribuer à la lutte contre le terrorisme et aider à harmoniser les législations des pays membres. Je souhaite aussi mettre en place un observatoire des bonnes pratiques démocratiques. Enfin, il me semble crucial de créer un institut de recherche stratégique sur les questions de paix et de sécurité.
Quid de l’aspect culturel de l’OIF ?
La langue et la culture constituent l’identité même de la Francophonie. Je propose d’ailleurs la création d’une fondation pour la promotion de la langue française. J’ai également élaboré un plan de développement des industries culturelles, notamment le cinéma, la musique, et une stratégie pour réduire la fracture numérique. Ces industries sont des leviers de croissance et ont besoin de financements innovants pour s’épanouir. Sur le plan économique, je souhaite convoquer un forum qui rassemblerait les acteurs des secteurs publics et privés de la Francophonie pour décider des actions prioritaires. Il me semble enfin important de ne pas négliger les problématiques environnementales. Je prévois ainsi la création d’un service dédié au sein du cabinet du secrétariat général.
Aucun consensus ne s’est dégagé autour d’un candidat. Comment abordez-vous la dernière ligne droite de cette campagne ?
En tant que candidats, nous devons faire campagne jusqu’au bout, travailler et expliquer nos programmes aux chefs d’État, qui feront leur choix.
Trois candidats sont originaires d’Afrique centrale : Henri Lopes, l’Équato-Guinéen Agustin Nzé Nfumu et vous-même. N’est-ce pas trop ?
Et s’il n’y avait pas eu assez de concurrents, on aurait dit que l’OIF n’intéresse personne ! Nous sommes là, soutenus par nos pays, et c’est une bonne chose pour la Francophonie, même si cela ne facilite pas le consensus.
Envisageriez-vous un retour sur la scène politique burundaise si vous n’étiez pas élu ?
Non, il est temps de laisser la place à la nouvelle génération.
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