Côte d’Ivoire : le procès de Simone Ggagbo aura-t-il lieu ?

Le procès de Simone Gbagbo et de ses 82 coaccusés devait s’ouvrir le 22 octobre, mais il a été reporté sine die. Manque de préparation de la justice ivoirienne ? Précipitation des autorités pour devancer la CPI ? Certains commencent à douter que le procès pour atteinte à la sûreté de l’État se tienne jamais.

Simone Gbagbo en 2009 © Issouf Sanogo/AFP

Simone Gbagbo en 2009 © Issouf Sanogo/AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 28 octobre 2014 Lecture : 8 minutes.

Le 22 octobre, alors que le tout Abidjan n’attendait que l’ouverture du procès de Simone Gbagbo et de ses 82 autres co-accusés, le gouvernement annonçait le report sine die des audiences. En promettant cependant que le procès se tiendrait… bientôt. Mais le temps passe et l’enregistrement des prévenus tarde. Or, il faut deux semaines minimum après la fin de l’identification pour que les audiences puissent réellement débuter. Le "procès du siècle", comme on le surnomme déjà en Côte d’Ivoire, n’est donc pas prêt de s’ouvrir.

En attendant, Simone Gbagbo, l’accusée la plus médiatique, fourbit ses armes. "Elle est assez impatiente que ce procès se tienne et elle ne va pas se laisser faire, confie Habiba Touré, l’une de ses avocates. Elle n’est pas dans un esprit revanchard et haineux, mais, si les juges viennent la chercher, elle dira : Vous voulez qu’on parle de droit ? D’accord, allons-y !" Simone Gbagbo, 65 ans, se prépare au combat.

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Depuis son arrestation à Abidjan, le 11 avril 2011, et son transfert à Odienné, dans le nord-ouest de la Côte d’Ivoire, elle ne regrette rien et ne se reproche rien. Début octobre, dans la villa où Simone Gbagbo était assignée à résidence, elle a été longuement interrogée par le doyen des juges d’instruction de Côte d’Ivoire. Un autre de ses avocats, Toussaint Dako Zahui, était présent. "Elle était au point, moralement et physiquement, raconte-t-il. Elle a répondu à toutes les questions. Elle ne s’est pas débinée. Au procès, elle dira sa part de vérité."

Depuis son inculpation, le 18 août 2011 par la justice ivoirienne, l’ex-première dame de Côte d’Ivoire est poursuivie pour trois crimes majeurs : "atteinte à la sûreté de l’État, crimes de sang et crimes économiques". Mais curieusement, pour le moment, elle n’est convoquée que pour le premier chef d’inculpation, l’atteinte à la sûreté de l’État.

En clair, elle va répondre à l’accusation de ne pas avoir reconnu le verdict de l’élection présidentielle de novembre 2010 – la victoire d’Alassane Ouattara – et d’avoir provoqué la très grave crise postélectorale.

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"Ce procès ne va pas concerner les crimes eux-mêmes, regrette Florent Geel, le directeur du bureau Afrique de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). On va parler de l’État comme victime, mais pas des quelque 3 000 ou 4 000 personnes qui ont été tuées. Celles-ci seront les grandes absentes de ce procès, et c’est fort regrettable."

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Simone Gbagbo va-t-elle échapper à l’accusation d’avoir commandité des crimes de sang ? "Dans les semaines à venir, nous allons ouvrir un procès dans une autre matière concernant Simone Gbagbo, avec des faits relativement connexes à la crise postélectorale", répond le ministre ivoirien de la Justice, Gnénéma Coulibaly – un proche de Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale. De fait, l’inculpation de l’ex-première dame pour "crimes de sang" est examinée par un autre juge d’instruction ivoirien, qui a déjà interrogé la prévenue mais n’a pas encore transmis son dossier au parquet d’Abidjan. Le temps que la chambre d’accusation décide s’il y a lieu ou non de poursuivre Simone Gbagbo pour "crimes de sang", ce premier procès pour "atteinte à la sûreté de l’État" devrait déjà être bien entamé.


Convention du FPI en février, à Abidjan, en présence de Pascal Affi N’Guessan (au centre).
© Issouf Sanogo/AFP

 

La CPI veut juger Simone Gbagbo pour "crimes contre l’humanité"

Va-t-on vers un double procès ? C’est une question clé. Au temps où la députée d’Abidjan était de facto la numéro deux du régime Gbagbo, le chef de sa garde personnelle, Anselme Seka Yapo, dit Seka Seka, était le chef présumé d’un escadron de la mort. Il est mis en cause par la justice ivoirienne dans de nombreux crimes non élucidés : la mort, le 19 septembre 2002, de Robert Gueï et de son épouse ; la tentative d’assassinat, le même jour, d’Alassane Ouattara et de son épouse ; les assassinats ciblés, à la même époque, de plusieurs personnalités de l’opposition, dont le docteur Benoît Dacoury-Tabley ; l’enlèvement, le 16 avril 2004, de Guy-André Kieffer, probablement tué dans les heures qui ont suivi.

Ce jour-là, c’est Michel Legré, le beau-frère de Simone Gbagbo, qui a servi d’appât pour le kidnapping du journaliste français. Cette question clé des crimes de sang est au coeur du bras de fer actuel entre la Côte d’Ivoire et la Cour pénale internationale (CPI). Celle-ci veut juger Simone Gbagbo pour "crimes contre l’humanité". En février 2012, la CPI a donc lancé contre elle un mandat d’arrêt – ce qui fait de l’ex-chef du groupe parlementaire du Front populaire ivoirien (FPI) la première et unique femme à être poursuivie par le tribunal de La Haye.

Aussitôt, le président Ouattara a dit qu’il ne souhaitait pas livrer la prisonnière d’Odienné à la CPI. Peur d’être le premier chef d’État à envoyer une femme devant cette cour, peur de devoir ensuite transférer à La Haye des gens de son propre camp… Les raisons d’Alassane Ouattara sont multiples. Ce qui est sûr, c’est que, depuis 2012, il a été approché par plusieurs chefs d’État africains. "Ils lui ont dit qu’en Afrique ça ne se faisait pas de livrer une maman, et que, quoi qu’elle ait fait, on devait la respecter", confie un conseiller du président ivoirien.

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82 accusés pro-Gbagbo vont comparaître le 22 octobre

La présence de Laurent Gbagbo à la CPI depuis novembre 2011 a plaidé également en faveur du maintien de son épouse en Côte d’Ivoire. "Il n’est pas bien qu’une famille se retrouve là-bas", a dit Guillaume Soro à plusieurs de ses visiteurs. Ces derniers mois, la CPI s’est impatientée et a exigé de la part de la justice ivoirienne des documents prouvant l’existence d’une procédure visant Simone Gbagbo pour crimes de sang.

Depuis l’annonce de l’ouverture de ce mégaprocès d’Abidjan, les juges de La Haye enragent. "Lorsque le gouvernement ivoirien sent monter la pression, il sort toujours une nouvelle procédure de son chapeau", fulmine un proche de la CPI.

Les audiences qui ont été reportées sine die sont d’autant plus exceptionnelles que Simone Gbagbo va comparaître aux côtés de 82 autres personnes, toutes pro-Gbagbo. Et pas n’importe qui ! Michel Gbagbo, le fils franco-ivoirien de la première épouse de Laurent Gbagbo ; Aboudramane Sangaré, le premier vice-président du FPI ; Gilbert Aké N’Gbo, le Premier ministre éphémère du camp Gbagbo pendant la crise postélectorale de 2010-2011 ; et, surtout, Pascal Affi N’Guessan, le président du FPI et l’homme que Simone, "la dame d’acier", avait giflé au retour de la conférence de Marcoussis, en France, en janvier 2003.

"Cela, c’est le passé. Depuis, beaucoup de temps s’est écoulé", aime à dire aujourd’hui le numéro un de l’opposition. "Évidemment, ce n’est pas un hasard si ma cliente se retrouve au milieu d’une foule de gens", maugrée l’un des avocats de l’ex-première dame. "Les dirigeants actuels de Côte d’Ivoire ont été impressionnés par l’attention autour de son mari, lors de ses comparutions à La Haye. Ils ne veulent pas que, le jour de son procès à Abidjan, Simone Gbagbo prenne la lumière. Alors, ils noient le poisson."

La grande différence entre Simone Gbagbo et les autres cadres du FPI qui seront dans le box, c’est que les seconds sont en liberté provisoire. A priori, sauf surprise, ils pourront rentrer chez eux tous les soirs pendant le procès. D’où la question : tout le monde sera-t-il logé à la même enseigne ?

"Je ne pense pas que les autorités souhaitent la libération de Simone Gbagbo avant la présidentielle de la fin 2015", murmure un cadre du Rassemblement des républicains (RDR, au pouvoir). "Si Alassane Ouattara veut être en adéquation avec la CPI, il va être obligé de faire qualifier un peu plus les charges retenues par la justice ivoirienne", glisse un conseiller à la présidence.

En clair, un second procès pour crimes de sang tomberait à pic pour éviter que l’épouse de Laurent Gbagbo ne sorte de prison. "Ses conditions de détention seront assouplies, pronostique ce conseiller. Elle ne sera plus au secret dans le Nord ; elle sera en résidence surveillée près de chez elle et aura des soins médicaux mieux adaptés et plus réguliers."

"Alassane Ouattara va utiliser ce procès pour attiser les querelles internes au sein du FPI"

Pascal Affi N’Guessan pourrait-il retourner en prison ? Personne n’y croit. "Il faut qu’il soit candidat l’an prochain. C’est lui qui porte les couleurs du FPI, et il est raisonnable, estime ce même conseiller. Mais les cadres du FPI qui sont en liberté provisoire ne seront peut-être pas tous acquittés. Il faut qu’il y ait des condamnations. D’abord pour le principe. Et puis parce que cela nous donnera des marges de négociation face au FPI avant l’élection."

En clair, les opposants les plus radicaux pourraient bien être frappés d’inéligibilité. Autre son de cloche : "Alassane Ouattara va utiliser ce procès pour attiser les querelles internes au sein du FPI", analyse Mamadou Koulibaly, l’un des dirigeants de la Troisième Voie, cette coalition de partis qui veut sortir de l’affrontement bipolaire entre les camps Ouattara et Gbagbo. "Au bout du compte, on risque de se retrouver avec un FPI qui va s’entredéchirer et qui va boycotter 2015. Mais Alassane Ouattara s’en fiche."

En fait, pour l’ex-président de l’Assemblée nationale, la donne a changé depuis la visite de François Hollande à Abidjan, le 17 juillet dernier. Ce jour-là, le président français a rencontré les opposants ivoiriens en leur disant : "Il ne faut pas qu’on s’attende à ce que la France dise qu’une victoire d’Alassane Ouattara en 2015 ne serait pas légitime sous le simple prétexte que l’opposition aurait boycotté ce scrutin." Après avoir effacé Henri Konan Bédié de la course pour 2015, Alassane Ouattara est-il tenté de se débarrasser aussi d’une candidature d’Affi N’Guessan ? "Si le FPI s’exclut de lui-même, oui", affirme l’ancien troisième vice-président de ce parti. C’est l’un des enjeux du mégaprocès tant annoncé.

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