Comment le Nigeria a su étouffer l’épidémie d’Ebola
Alors que la Guinée, la Sierra Leone et le Liberia sont sévèrement touchés, le géant régional qu’est le Nigeria est jusqu’ici parvenu à empêcher le virus Ebola de se propager sur son territoire. Quelles sont les raisons de ce succès ?
Lorsque Patrick Sawyer s’est effondré dans le hall des arrivées de l’aéroport de Lagos, en juillet, le Nigeria a bien failli céder à la panique : ce consultant en développement libérien présentait tous les symptômes d’Ebola. Les services sanitaires, débordés, seraient-ils capables de contenir le virus mortel ?
Signe du mauvais état du système de santé local, au même moment, les médecins nigérians étaient en grève, réclamant de meilleurs salaires…`
Déjà, les experts en santé publique imaginaient un scénario cauchemardesque : le Nigeria est le pays le plus peuplé d’Afrique – 170 millions d’habitants, soit huit fois la population totale de la Guinée, de la Sierra Leone et du Liberia, où la maladie fait rage -, ses élites et ses hommes d’affaires prospères se déplacent dans le monde entier. Tous les ingrédients étaient réunis pour que le virus, s’il parvenait à s’implanter au Nigeria, connaisse une propagation foudroyante.
Cercle vicieux
Pourtant, contre toute attente, ce pays chaotique par bien des aspects a donné une leçon au monde. Les États occidentaux, qui se bousculent pour apporter leurs propres solutions au fléau Ebola, seraient bien inspirés de suivre son exemple pour gérer cette crise sanitaire. Car, à l’évidence, le Nigeria a su étouffer l’apparition du virus. le docteur Simon Mardel, spécialiste mondial des maladies émergentes, l’épidémie se répand en suivant un cercle vicieux : un premier individu est infecté, puis c’est au tour de son entourage immédiat, etc. Or le Nigeria semble être parvenu à briser ce cycle.
Ce succès, qui était loin d’être assuré, est le fruit d’un véritable élan national : l’État de Lagos, les institutions fédérales, le secteur privé et des ONG internationales ont conjugué leurs efforts pour vaincre la maladie. Ensemble, ces différents acteurs ont apporté de l’espoir, alors même que les Nigérians ont perdu confiance en leur État, dont la réputation est entachée par des scandales de corruption à grande échelle, et en leur armée, qui peine à venir à bout des islamistes radicaux de Boko Haram, dans le nord du pays.
"Il y a quatorze ans, l’ancien président américain Bill Clinton, en visite ici, avait déclaré que nul problème n’est insoluble pour peu que les Nigérians s’unissent pour le régler", se souvient Benjamin Ohiaeri, directeur de la clinique First Consultants. C’est en partie grâce au courage du personnel de cet établissement, où Patrick Sawyer a été admis le 20 juillet avant de mourir, que la maladie a pu être endiguée : il a fait en sorte que ce patient ne quitte pas les locaux. Mais l’équipe du docteur Ohiaeri a payé le prix fort.
Onze membres du personnel ou de leurs familles ont contracté le virus Ebola, pour la plupart dans les quarante-huit heures suivant l’admission de Patrick Sawyer, et quatre d’entre eux sont décédés.
Si le virus frappe à nouveau, le Nigeria sera mieux préparé
Du côté des autorités, un décret présidentiel d’urgence a permis d’exploiter des enregistrements téléphoniques et d’avoir recours aux services de police pour détecter les personnes à risque. Par la suite, un système de surveillance des cas potentiels a été institué par l’État de Lagos.
"C’est une organisation super efficace. Ils ont mis le paquet pour repérer chaque individu susceptible d’avoir été en contact avec le virus, témoigne Eilish Cleary, expert en santé publique à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a interrogé les survivants. Aux États-Unis, l’épouse de la première victime d’Ebola a été laissée pendant cinq jours en présence d’objets contaminés. Ici, ils ont désinfecté les maisons immédiatement."
Retrouvez notre carte interactive : le virus Ebola de 1976 à 2014
Au total, vingt Nigérians ont été touchés. Huit d’entre eux ont succombé. Des équipes composées de fonctionnaires de l’État et de bénévoles ont suivi plus de 800 personnes qui ont été en contact, primaire ou secondaire, avec Sawyer, notamment les fidèles de deux églises de Port Harcourt, où un homme contaminé par le virus venait prier.
En outre, des centaines de cliniques privées ont reçu une formation pour identifier les victimes d’Ebola et éviter qu’elles côtoient d’autres personnes jusqu’à leur évacuation dans des centres d’isolement. Une campagne sur les réseaux sociaux, menée à titre bénévole par des professionnels des technologies de l’information et de la communication, a complété ces efforts.
Selon l’OMS, pour contenir l’épidémie avec succès comme l’ont fait les Nigérians, la logistique et les actions de sensibilisation de la population sont tout aussi essentielles que la qualité des soins. Reste que le pays a eu de la "chance" que Patrick Sawyer soit entré sur le territoire par l’aéroport de la capitale économique et ait été directement orienté vers une clinique privée de pointe.
Selon le docteur Mardel, le Nigeria pourrait être beaucoup plus vulnérable si un autre cas arrivait par voie terrestre et se retrouvait dans un hôpital public, dans un endroit plus isolé. Mais si le virus frappe à nouveau, le pays sera mieux préparé. "Les gens sont déterminés, assure le docteur Tochi Okwor, qui dirige la campagne de sensibilisation dans l’État de Lagos. Ils ne veulent pas d’Ebola au Nigeria."
Buvez, éliminez !
À la voir, rayonnante de santé, nul ne se douterait qu’elle vient de lutter contre Ebola, deux semaines durant, dans une salle d’isolement à Lagos. Le Dr Ada Igonoh doit sa guérison à sa farouche volonté de survie… et à l’absorption de beaucoup, beaucoup d’eau. Mais elle le dit et le répète, il n’y a pas de remède miracle. Comme elle, tous les survivants de la maladie au Nigeria ont été soumis à ce traitement dès qu’ils ont été diagnostiqués comme porteurs du virus, buvant quotidiennement jusqu’à cinq litres d’une solution d’eau et de sels de réhydratation. Selon le Dr Simon Mardel, qui a examiné plus de cas d’Ebola que quiconque dans le monde, il faut accorder la plus grande attention à la réhydratation, notamment aux premiers stades de la maladie. Car ensuite, le combat se corse. "Avec Ebola, les risques ne s’additionnent pas, ils se multiplient, explique-t-il. Si vous ne buvez pas assez pendant une journée, il faudra boire deux fois plus que prévu le lendemain."
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