Économie africaine : 2015, l’année de tous les défis
En 2014, les espoirs de prospérité de l’Afrique ont été éprouvés par des crises économiques, sécuritaires et sanitaires. Et si elle trouvait, au coeur même de ces bouleversements, les clés pour franchir un nouveau cap de son développement ?
L’année qui s’achève aura été difficile pour le continent. Certes, la croissance est restée soutenue, à 5 % en moyenne, et les économies ont réussi à conserver leur nouvelle image de terres d’opportunité, fertiles pour les investissements étrangers (et pas seulement). Mais, soudain, l’horizon de certains pays s’est assombri. Le virus Ebola, parti de la Guinée forestière, a semé la zizanie dans toute une région, ébranlé son économie, donné un coup d’arrêt brutal à des projets miniers et agricoles et mis en berne le tourisme (notamment d’affaires), déjà pénalisé par des questions sécuritaires dans la bande sahélienne. Il a tué plus de 7 000 personnes, essentiellement dans quatre pays d’Afrique de l’Ouest.
Et comme un malheur ne vient jamais seul, les cours des principales matières premières – le pétrole notamment – exportées par le continent ont plongé. Certains poids lourds économiques comme le Nigeria, l’Algérie et l’Afrique du Sud se sont alors retrouvés en difficulté.
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Présenté comme tel, le tableau n’est guère reluisant et peut même laisser augurer d’une année 2015 pas plus heureuse que celle qui s’achève. Il n’en sera rien puisque le Fonds monétaire international (FMI) table sur un taux de croissance de 5,8 %. Ces crises doivent plutôt être considérées comme un « stress test » pour un continent qui s’apprête à franchir une étape décisive dans son développement économique. À condition bien sûr que ses dirigeants fassent les bons choix. Au cours de l’année qui se profile, ce sont la diversification économique, la transformation locale de certaines matières premières et donc la création d’emplois, mais aussi l’intégration régionale qui devront être considérées comme des priorités.
- Matières premières : Profiter de la chute des cours
Dépréciation et dévaluation monétaire, chute des recettes d’exportation, croissance économique revue à la baisse… C’est un véritable cauchemar que vivent les exportateurs africains d’or noir depuis que le prix du baril est passé de plus de 110 dollars (81 euros) en juin à 60,63 dollars le 23 décembre. Une dégringolade qui concerne toutes les matières premières, touchant notamment les producteurs de minerais (fer, cuivre, bauxite, etc.) et de produits agricoles (coton, riz ou encore sucre).
La situation n’a pas manqué de susciter l’inquiétude des prévisionnistes. D’autant qu’au cours de la dernière décennie, c’est notamment la bonne tenue des cours de ces ressources naturelles qui a largement porté l’embellie africaine et a permis de redresser les comptes publics. Et que les analystes soutiennent tous en choeur que les prix vont rester à des niveaux bas jusqu’au premier semestre 2015. L’Afrique va-t-elle connaître un ralentissement ?
Au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), où cinq des six pays membres – Gabon, Guinée équatoriale, Congo, Tchad et Cameroun – sont des producteurs de pétrole, le gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale, l’Équato-Guinéen Lucas Abaga Nchama, vient d’annoncer que la progression du PIB régional sera moins importante en 2014 que ce qui était initialement prévu (4,9 % au lieu de 5,6 %).
En Algérie, on commence à évoquer la suspension de certains projets d’envergure. « À court terme, il ne faut en effet pas minimiser les impacts de cette situation sur les économies, d’autant que certains pays ont actuellement des déficits budgétaires et d’importants déficits des comptes courants [déficits jumeaux], affirme Bakary Traoré, analyste économique à l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques]. Il faudra être prudent concernant les dépenses budgétaires. » En zone Cemac, les derniers chiffres lui donnent déjà raison puisque ces déficits jumeaux ont enregistré une aggravation, passant de 2 % à 2,8 % du PIB entre 2013 et l’année qui s’achève.
Pour autant, il n’y a pas encore péril en la demeure. Si, depuis quelques années, la dynamique économique du continent était portée par la vigueur des cours des matières premières, elle était également soutenue par deux autres facteurs : une meilleure gestion macroéconomique et une demande intérieure assez soutenue (marché alimentaire, BTP, consommation de la classe moyenne et flux d’investissements).
Mais ce mouvement devra être entretenu durant l’année qui commence par de véritables programmes de transformation productive, l’accélération de la diversification des économies et de l’intégration régionale. « Aujourd’hui, on importe la plupart de ce qu’on consomme, au détriment de l’industrie locale, notamment dans les pays producteurs de pétrole », note Birama Boubacar Sidibé, le vice-président opérationnel de la Banque islamique de développement (BID), qui soutient que les difficultés engendrées par la baisse des cours des matières premières peuvent être une opportunité.
Certains pays l’ont bien compris : au Ghana, les autorités viennent de lancer, avec le mauricien Omnicane, la construction d’une usine sucrière pour un montant de 182 millions d’euros. Le Gabon, lui, vient de verser 236 millions d’euros aux entreprises locales au titre de remboursement d’une partie de la dette intérieure (823 millions d’euros ont été décaissés depuis le début de l’année) pour soutenir la production locale.
Ces dirigeants qui montent au front
Nigeria : Godwin Emefiele, Gouverneur de la Banque centrale
En temps normal déjà, il est difficile de succéder au très charismatique Sanusi Lamido Sanusi à la tête de la Banque centrale du Nigeria.
Mais si une crise d’envergure se présente dans la foulée, la mission devient extrêmement compliquée.
Après avoir dévalué le naira pour faire face à la dégringolade des cours du pétrole qui malmène l’économie nigériane, Godwin Emefiele va devoir user de persuasion pour soutenir la valeur de la monnaie nationale face au dollar et, dans le même temps, veiller à ramener l’inflation (8 %) à un niveau soutenable. Le tout au cours d’une année électorale qui inquiète les investisseurs étrangers.
Afrique du Sud : Nhlanhla Nene, Ministre des Finances
En mai, il est devenu le premier homme noir à occuper ce poste. Une promotion qui constitue un véritable défi pour celui qui était jusque-là vice-ministre.
border: 0px solid #000000; float: right;" />Nhlanhla Nene prend la tête du ministère des Finances alors que l’Afrique du Sud traverse une période très difficile. Le taux de croissance ne devrait pas dépasser 1,4 % cette année, soit la plus faible progression depuis 2010, tandis que le chômage caracole à 25 %.
Il a récemment donné ses priorités à The Africa Report : « Nous devrons nous concentrer sur la productivité dans le secteur public. Et nous avons besoin d’un bon système de gestion des performances. » Plus facile à dire qu’à faire.
Algérie : Saïd Sahnoun, PDG intérimaire de la Sonatrach
Ingénieur pétrolier, avec une longue expérience dans la branche extractive de la compagnie, le nouveau PDG a un profil rassurant.
Arrivé aux manettes du groupe en août, après une crise de gouvernance qui a abouti à l’éviction de son prédécesseur, Abdelhamid Zerguine – plus politique et effacé -, Sahnoun se sait attendu, dans un contexte de baisse des cours du pétrole et de chute des recettes de la société.
Et ce alors qu’il a annoncé un plan massif d’investissement de 82 milliards d’euros pour relancer l’exploration et augmenter le nombre de projets pilotés en propre.
RDC : Augustin Matata Ponyo, Premier ministre
Alors que beaucoup le disaient sur le départ, Augustin Matata Ponyo a été reconduit en décembre à son poste de Premier ministre de la RD Congo. Un succès personnel pour ce technocrate issu de la Banque centrale.
Le soutien des institutions internationales a pesé, alors qu’il s’est attaqué avec un certain succès à l’inflation, à la dédollarisation de l’économie et à la bancarisation de la population. Tout en bénéficiant d’une croissance de 8,5 % en 2014.
Mais avec un nouveau gouvernement à l’effectif pléthorique de 47 ministres, dont trois vice-Premiers ministres très politiques aux caractères bien trempés, poursuivre les réformes ne sera pas chose aisée.
Par ailleurs, sur le continent, où les deux tiers des 54 pays qui ne sont pas producteurs de pétrole dépensent annuellement des sommes colossales pour approvisionner leurs économies en énergie, la baisse du prix de l’or noir est une bonne nouvelle. Tout comme pour le secteur aérien africain : « C’est un bol d’air pour une industrie dont les marges étaient très faibles », note Yassine Berrada, vice-président finances du transporteur marocain.
- Ebola : Le combat continue
« Prudemment optimiste » ! C’est ainsi que Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, a décrit son état d’esprit à l’issue de sa visite fin décembre dans les pays d’Afrique de l’Ouest touchés par Ebola (Liberia, Sierra Leone, Guinée et Mali). La formule résume assez bien l’atmosphère qui domine aujourd’hui sur le continent.
Un climat qui tranche avec le « sentiment de peur panique qui règne en Occident », déjà évoqué par Carlos Lopes, le secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), en octobre. Avec 7 373 morts sur un total de 19 031 cas répertoriés au 20 décembre, le bilan humain de la pandémie s’annonce lourd pour la région affectée.
Mais l’impact économique devrait être plus mesuré, selon les experts, qui continuent de prédire une croissance de plus de 5 % à l’échelle du continent pour 2015. « Les trois économies principalement touchées représentent à elles trois moins de 0,7 % du PIB africain. L’incidence d’Ebola ne devrait donc pas coûter plus de 0,04 point de croissance », assure un macroéconomiste de la Banque africaine de développement (BAD).
À condition bien sûr que l’épidémie se limite à ces pays. Dans le cas contraire, la facture pourrait vite grimper. La Banque mondiale chiffre à près de 25 milliards d’euros le coût d’une éventuelle propagation du virus en Afrique de l’Ouest, rien que pour 2015.
Tandis que les épidémiologistes suivent de très près les quelques cas signalés au Mali, les économistes se rassurent en rappelant que le Nigeria, la RD Congo et le Sénégal ont réussi à venir à bout de la maladie sans trop de dégâts. La réaction des trois pays concernés, où l’impact socioéconomique est d’ores et déjà qualifié de « profond » par la Banque mondiale, sera en effet déterminante.
>>>> Ebola : reflux de l’épidémie dans les trois pays les plus touchés
En plus d’une récession en 2014 (- 2,1 % pour la Guinée, – 3,4 % pour le Liberia, – 3,3 % pour la Sierra Leone), l’épidémie entraîne pour ces États – « déjà fragiles politiquement et affaiblis institutionnellement par des années de guerre civile », comme le rappelait la CEA dans une note en décembre – une augmentation des dépenses et une diminution des revenus. Ceux-ci doivent en effet investir dans le secteur de la santé alors que l’activité économique tourne au ralenti et que les rentrées fiscales plongent.
« Pas moins de dix entreprises et succursales ferment chaque semaine dans ces pays », insistent les experts de la commission. Au Liberia, ArcelorMittal a mis en veilleuse ses projets. Et, en Sierra Leone, certaines « juniors » minières ont plié bagage alors que plusieurs projets d’infrastructures sont gelés par les bailleurs de fonds.
Au chômage, qui monte en flèche, s’ajoutent les risques de crise alimentaire pour plus d’un demi-million de personnes dans la région, ainsi que la succession d’années scolaires « blanches » (invalidées), le temps que les systèmes éducatifs puissent se remettre à niveau.
« Le seul moyen de stopper Ebola et d’en annuler les effets négatifs, c’est de donner à ces pays les moyens financiers de lutter contre la pandémie« , assure Donald Kaberuka, le président de la BAD.
Sur les 2,5 milliards d’euros promis par la communauté internationale, seuls 490 millions ont pour l’instant été officiellement débloqués, calcule la CEA. Et selon cette institution, le secteur privé africain, qui s’était pourtant engagé à hauteur d’une trentaine de millions, avec Dangote et MTN en tête, n’a pas joint le geste à la parole.
Une autre solution consisterait à annuler purement et simplement la dette de ces pays. « Pour leur permettre de pouvoir repartir à zéro une fois l’épidémie maîtrisée », plaide la CEA.
- Sécurité : Rétablir la confiance
« Nous, nous vendons du rêve. Mais avec le sentiment de peur qui domine, ça ne marche plus », résume Kevin Girard, directeur général de Point-Afrique. Ce voyagiste spécialiste du Sahel, qui transportait environ 70 000 personnes par saison (octobre à avril) il y a encore quelques années, n’a enregistré qu’une cinquantaine de réservations cet hiver.
Entre soulèvements populaires, menaces terroristes et autres interventions militaires, de nombreux pays du continent ont vu leurs chiffres du tourisme s’effondrer. Il y a trois ans encore, ce secteur était le troisième pourvoyeur de devises étrangères au Mali après l’or et le coton. Il représentait 5 % du PIB, avec des recettes alors estimées à quelque 107 millions d’euros. Mais aujourd’hui, il n’est plus que l’ombre de lui-même, avec seulement un peu plus de 120 000 visiteurs en 2013, contre 250 000 en 2010.
Au Kenya, principale économie d’Afrique de l’Est, où le tourisme a généré près de 820 millions d’euros en 2013, le nombre de visiteurs a reculé de 13,6 % au premier semestre 2014 à cause de multiples attentats.
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Fin 2014, la fréquentation des touristes français, majoritaires en Afrique de l’Ouest et au Maghreb, a encore diminué après l’assassinat du randonneur Hervé Gourdel en Algérie. Le choc provoqué par ce drame s’est très rapidement propagé aux pays voisins et à toute la zone sahélienne.
« À Marrakech, nous avons vu la fréquentation des francophones chuter de 15 % rien que pour le mois d’octobre, et elle ne s’est pas rétablie en novembre, se désole Abdellatif Kabbaj, PDG de Kenzi Hotels, l’un des principaux groupes hôteliers marocains. Le pays aurait pu accueillir 12 millions de touristes cette année, nous en recevrons peut-être 10 millions. » Une communication maladroite du ministère français des Affaires étrangères sur les zones à risques, reprise de façon catastrophiste par certains médias, n’a fait qu’amplifier la panique. Au Maroc, destination pourtant sûre, les autorités françaises ont appelé les touristes à une « vigilance renforcée » du jour au lendemain, refroidissant nombre d’entre eux.
De manière générale, « la baisse est très forte et représente au moins 30 %, toutes destinations confondues, estime Jean-Pierre Mas, le président du syndicat français des agences de voyages. Les seules régions qui s’en sortent sont le nord du Maroc et le sud de l’Afrique du Sud ». Comment remonter la pente ? Pour les professionnels, qui restent pessimistes concernant l’année 2015, assurer la sécurité est la première des exigences. Et doit s’accompagner d’un réel effort pédagogique afin de mieux distinguer les zones à risques et de limiter les réactions de panique.
Autre piste pour redresser la barre et relancer progressivement l’activité : surfer sur l’émergence d’une classe moyenne africaine en ciblant une clientèle locale. C’est notamment le pari de Mazagan, le luxueux resort marocain. Initialement conçu pour attirer de riches Occidentaux, qui se font attendre depuis quelque temps, le complexe s’est réorienté pour séduire les Marocains et, notamment, les familles. Celles-ci représentent aujourd’hui près de 42 % de la clientèle. Le taux d’occupation de l’établissement dépasse 70 %, alors que la moyenne dans le royaume chérifien ne dépasse guère 45 %, selon les chiffres du ministère du Tourisme.
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