Qui est vraiment Filipe Nyusi, le prochain président du Mozambique ?
D’après les décomptes finaux des votes publiés hier, jeudi 23 octobre, Filipe Jacinto Nyusi, le candidat du Frelimo, remporterait dès le premier tour la présidentielle du 15 octobre au Mozambique avec quelque 57% des voix. Originaire du nord du pays, l’ancien ministre de la Défense reste une énigme quant à son positionnement politique futur et aux liens qu’il entretiendra avec le président actuel, Armando Guebuza.
Sur le papier, Filipe Nyusi a tout du parfait candidat Frelimo. "Il est né en 1959 dans le district de Mueda (Nord), tristement célèbre pour le massacre commis par les colons portugais en juin 1960, raconte Cadmiel Muthemba, son chef de cabinet. Ses parents, des paysans makondés d’origine modeste, se sont ensuite enfuis pour la Tanzanie et ont participé à la fondation du Front de libération du Mozambique".
Le jeune Filipe entame sa scolarité dans l’une des écoles montées par le Frelimo, auquel il adhère à 14 ans, avant de poursuivre des études d’ingénierie mécanique, notamment en Tchécoslovaquie et en Angleterre. Après une carrière dans les chemins de fer, il est catapulté au poste de ministre de la Défense en 2008 par Armando Guebuza, le président actuel.
Nouvelle génération
À 55 ans, le futur quatrième président du Mozambique indépendant est relativement jeune : "Il incarne l’accession d’une nouvelle génération de dirigeants aux manettes du parti, succédant à la vieille garde des anciens combattants de la guerre de libération", explique le journaliste d’opposition Fernando Lima. Sa nomination tardive comme candidat du Frelimo à la présidentielle, en mars 2014, résulte d’une longue bataille interne au parti anciennement marxiste. Le président Guebuza, fortement impopulaire au sein de la population comme dans le parti, a rapidement été dissuadé par ses pairs de toute velléité de modification constitutionnelle en vue d’un troisième mandat.
Filipe Nyusi incarne l’accession d’une nouvelle génération de dirigeants aux manettes du parti, succédant à la vieille garde.
"Pourtant, il ne faut pas voir Nyusi comme son candidat de substitution, poursuit Lima. Mais plutôt comme celui d’un compromis entre plusieurs tendances qui s’affrontent au sein du Frelimo". Pour la plupart des analystes, un scénario "à la Poutine", dans lequel Nyusi se contenterait de préserver les intérêts de Guebuza, est ainsi à exclure.
Maintenant que le décompte des votes est terminé, il reste à la Commission nationale électorale (CNE) de vérifier les irrégularités constatées par les partis politiques, et d’inspecter les 700 000 votes déclarés comme non valides, avant de pouvoir officiellement déclarer les résultats. Cette dernière étape a son importance, puisque les scores définitifs de Nyusi à la présidentielle et du Frelimo à l’Assemblée devraient déterminer les rapports de force futurs entre le chef de l’État et le parti. En effet, si le Frelimo obtient plus de votes que le candidat, ou si le nombre de suffrages recueillis par ce dernier est trop éloigné de celui de Guebuza en 2009, Nyusi risque de devoir composer davantage avec le Comité politique du Frelimo, qui prend depuis toujours l’essentiel des décisions pour le gouvernement. Or pour l’instant, et jusqu’en 2017, c’est Armando Guebuza qui reste président du parti et du Comité politique… à moins qu’un congrès extraordinaire ne vienne l’évincer.
>> Lire aussi : Élections au Mozambique : des observateurs militaires déployés après des résultats contestés
En revanche, si Nyusi "devance" le Frelimo, le futur président devrait avoir plus d’assise politique pour mettre en place ses propres réformes. Et, pourquoi pas, mener à bien une démocratisation du Frelimo, dont le renouvellement est plus qu’attendu, alors que les retards et les irrégularités constatées lors du comptage des voix ont porté une nouvelle fois un coup à la crédibilité du processus électoral.
À l’échelle du pays, Nyusi aura besoin de plus de marge de manœuvre pour mettre en oeuvre la politique d’ouverture vis-à-vis de l’opposition qu’il a défendue pendant la campagne, et accorder suffisamment de concessions. De fait, le parti d’opposition a, dès le lendemain du vote, contesté la légitimité des résultats et demandé des négociations directes avec le gouvernement. Or l’unique manière de s’assurer que l’ancienne rébellion ne reprenne pas les armes est d’octroyer à ses cadres des postes dans l’administration et au sein des principaux secteurs économiques.
Le début de mandat de Filipe Nyusi sera donc déterminant, tant pour le Frelimo que pour le pays. Comme l’explique Erik Charas, directeur du journal d’opposition À Verdade, le futur président fait désormais face à une sérieuse alternative: "Ou bien il cherche à s’enrichir sans scrupules comme l’a fait Guebuza, ou alors il s’affranchit du Frelimo et s’attaque véritablement au développement du pays. Et c’est seulement dans ce cas qu’il laissera son empreinte dans l’histoire du Mozambique".
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