Ce que les embouteillages nous disent du futur de l’Afrique
Une tribune co-signée par Thomas Léonard et Pierre Laurent, consultant pour la société Okan.
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Thomas Léonard
Thomas Léonard est le co-fondateur d’Okan, une société de conseil en stratégie et en finance spécialisée sur l’Afrique
Publié le 16 mars 2017 Lecture : 4 minutes.
19 heures, un mardi de janvier 2016 à Abidjan. Bloqués sur le boulevard Valéry Giscard d’Estaing en taxi, nous passons une heure à suffoquer dans les gaz d’échappement noirs, épais et toxiques, fenêtres ouvertes faute de climatisation… Aucune plainte du chauffeur, c’est son lot quotidien. Forte envie de fuir pour nous qui sortons d’un « pic de pollution historique » à Paris.
Que faire, prisonniers que nous sommes des embouteillages ? Prenons notre mal en patience, laissons notre esprit s’évader et cogiter sur ce que cette congestion, cette pollution nous disent de l’Afrique et de ses défis. Des défis urbains qui ne lui sont pas propres, mais qui sont décuplés sur un continent en plein développement.
Voici les fruits de cette cogitation forcée.
Des villes qui grossissent très vite
Sur le continent, la circulation explose : démographie galopante (+45% depuis 2000), croissance urbaine (+70% depuis 2000, 470 millions de citadins en 2015), croissance économique et émergence de la classe moyenne ont mécaniquement entraîné un doublement du parc automobile entre 2005 et 2014.
Quand l’agglomération de Paris augmentait d’1 million d’habitants entre 1995 et 2015, Lagos passait de 6 à 13 millions d’habitants sur la même période. En 2025, selon l’ONU, elle en comptera 24 millions.Le défi urbain africain est unique dans l’histoire de l’humanité.
Même la Chine n’a pas vu ses villes grandir aussi vite. Elle compte 570 millions de citadins de plus qu’en 1980, alors que l’Afrique subsaharienne va en accueillir 850 millions de plus d’ici 2050. Les problématiques de congestion risquent de s’aggraver de manière exponentielle. L’Afrique est bel est bien le continent de tous les défis !
Pollution en Afrique : choix ou négligence ?
La forte pollution africaine tient à deux facteurs : circulation de vieilles voitures (les « France-au-revoir »), carburants ne répondant pas aux normes internationales (l’ONG Public Eye Investigation a mesuré un taux de souffre 600 fois supérieur en Afrique qu’en Europe pour le diesel).
Si les mécanismes de fixation des normes pour le carburant sont opaques, le rationnel pour les voitures est plus évident. C’est un choix politique délibéré, pour faciliter l’accès à des voitures bon marché, se faisant au détriment de la santé publique.
Au Sénégal, une loi de 2003 pour limiter à 5 ans l’âge des voitures importées été retoquée en 2012 (passage à 8 ans) pour réduire la facture des Sénégalais. Ce gain de court terme a de lourdes conséquences. L’OCDE en 2016 soulignait l’impact de la pollution sur le continent : 250 000 décès annuels (deux tiers des morts du paludisme) et un coût économique astronomique.
Ce cas illustre bien l’art complexe des arbitrages politiques que doivent trancher les États africains. Ce n’est bien sûr pas un problème spécifique à l’Afrique, mais face à des défis majeurs, elle doit faire des choix cornéliens. Difficile tâche !
Un coût économique démesuré
Si la circulation est en train de tourner au cauchemar, c’est aussi parce que les infrastructures et les solutions de mobilité ne suivent pas.
Certes, l’Afrique est en chantier : des routes se construisent et des solutions de transport en commun sont mises en œuvre. À Abidjan, après le troisième pont de Bouygues en partenariat public-privé, la construction de nouveaux axes routiers illustre la volonté de l’État de lutter contre l’engorgement urbain. La Côte d’Ivoire investit également dans ses transports en commun : acquisition d’un millier de bus Sotra, métro reliant Anyama à l’aéroport à l’étude. À l’échelle du continent, il convient cependant d’aller plus vite. Il n’y a pas de baguette magique, mais des pistes peuvent être proposées :
- muscler les politiques urbaines et disposer de schémas directeurs d’urbanisme afin de densifier les zones existantes, développer de nouveaux axes routiers et créer de nouvelles villes comme Diamniadio à Dakar ou Eko Atlantic à Lagos ;
- développer des offres de transport adaptées avec des bus à voie dédiée comme à Dar es-Salaam et Accra ou le tram à Casablanca et Addis-Abeba ;
- mobiliser des ressources financières importantes, publiques et privées, à travers le montage de partenariats public-privé équilibrés comme l’autoroute Eiffage de Dakar ou Konza City au Kenya.
Le coût de l’inaction est énorme. La Banque africaine de développement (BAD) estime le coût de la congestion à 19 milliards de dollars par an à Lagos. Si l’Afrique veut réussir son émergence, elle doit absolument réussir ce pari.
L’Afrique tiendra-t-elle le choc ?
Le taxi redémarre. La voie est libre. Fini notre vagabondage intellectuel. Quelle conclusion en tirer ? Pas d’afro-optimisme béat, pas d’afro-pessimisme stérile. Les défis de l’urbanisation africaine sont immenses, mais les exemples de développement urbain abondent, comme autant de repoussoirs (cités-dortoirs en Chine) ou autant de modèles (Singapour, Corée du Sud, Bangkok dans une certaine mesure).
L’ensemble des acteurs doit se mobiliser pour trouver des solutions nouvelles : plus de planification, de régulation intelligente, de secteur privé et plus d’innovations. A quand la première voiture sans chauffeur en Afrique ? Les Blue Bus de Bolloré commencent bien à être déployés !
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