La complainte du Tunisien
Il devient difficile de rencontrer un Tunisien heureux. Et je ne vous parle pas des anciens de Ben Ali, des esprits chagrins du passé ou des notables déchus. Je vous parle de l’homme de la rue. Celui qui n’a jamais fait de politique et qui fut un temps fier de sa révolution.
À l’entendre, rien ne va plus dans son pays. Absence d’État, mauvaise gouvernance, gabegie sociale et gâchis économique avérés. Contrebande et circuits mafieux. Affairisme et corruption à tous les niveaux. Des pans entiers du commerce auraient été concédés à des pays étrangers pour affinités idéologiques. Ajoutez le corporatisme outrancier, la gourmandise de parlementaires jamais repus, les querelles entre juges, les démissions à grand fracas au ministère de la Fonction publique ou à celui de la Culture.
Des politiques qui pensent que les urnes leur permettent tout et des citoyens persuadés que la révolution ne les oblige à rien
Chaque matin apporte un scandale : celui des infos ayant fuité sur des militants voraces qui attendent que le « vieux crève » – en parlant du chef de l’État – ou celui des manœuvres de l’UGTT, le plus puissant syndicat de travailleurs, visant à peser sur la politique et à décider des portefeuilles ministériels. La justice n’oserait pas fouiller dans les dossiers des attentats terroristes, des financements illégaux des partis ou de l’enrichissement personnel, parce que la classe dirigeante serait plus ou moins mouillée, genre je te tiens, tu me tiens par la barbichette.
Rien n’est fait pour diminuer le nombre de fonctionnaires, sévir contre les grèves qui paralysent des secteurs économiques vitaux, punir l’indiscipline et le racket, devenus un sport national. Mon homme de la rue a d’ailleurs l’honnêteté de dénoncer ses propres manquements. Il avoue ne pas donner l’exemple du sérieux et avoir tendance à n’en faire qu’à sa tête. Résultat : d’un côté des politiques qui pensent que les urnes leur permettent tout, de l’autre des citoyens persuadés que la révolution ne les oblige à rien.
Pour couronner le tout, une série d’événements qui ne sont pas pour redorer l’image du pays. Il y a quelques semaines, un groupe de sauvageons s’acharne sur un crocodile du parc du Belvédère et lui fracasse le crâne. Bon, vous me direz, les gamins ne sont pas censés savoir que les bêtes sont à protéger et non à lapider, et les médias ne sont pas censés se focaliser là-dessus. Mais tout de même. L’épisode fut relaté par les sites du monde entier.
Autre affaire : le 9 mars, la plupart des avions de la compagnie nationale Tunisair ont été cloués au sol. Motif : une bagarre entre un pilote et un technicien volant. Des coups de poing et des insultes dans le cockpit d’un avion en partance pour Paris. Depuis qu’une décision a été prise d’habiller les pilotes et les mécaniciens d’un uniforme presque similaire, c’est tempête et trous d’air au sein de la compagnie. Les pilotes dénoncent une atteinte au prestige de leur fonction, les mécaniciens exigent le prestige de l’uniforme. Au final, 2 millions de dinars de perte en une journée et une mauvaise donne pour un pays qui table plus que jamais sur le tourisme afin de renflouer ses caisses.
Pour le reste, le bleu de la mer et la douceur du ciel sont toujours au rendez-vous.
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