Mondial de l’alimentation : quelle malbouffe pour l’Afrique ?
Le Mondial de l’alimentation consacre-t-il l’occidentalisation des habitudes alimentaires des Africains ? Il y a loin de la coupe de l’agrobusiness aux lèvres de la majorité des habitants du continent noir…
"Dis-moi ce que tu manges et je te dirai ce que tu as". Inquiet, le monde scrute l’alimentation des Ouest-africains pour y détecter les vecteurs de la fièvre hémorragique. Notamment ces animaux "chevaux de Troie" que les agents pathogènes squattent sans les tuer, attendant de se retrouver dans les estomacs humains pour exécuter leurs attentats sanitaires. Dans le collimateur des experts scientifiques internationaux se trouve la faune sauvage qui sert d’ingrédient alimentaire dans nombre de pays d’Afrique occidentale. Si des primates non humains comme les gorilles ou les chimpanzés sont des victimes d’Ebola, au même titre que l’homme, d’autres animaux ne sont que des "mules" de la zoonose. Si la souche ayant provoqué le foyer actuel n’a pas encore été identifiée formellement, elle pourrait avoir infecté l’homme via une soupe de roussette, cette chauve-souris frugivores "porteuses saines" que l’on sèche, fume et cuit.
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Cette hypothèse accentue le regard effrayé que porte l’Occident sur l’Afrique "contaminatrice". Car l’animal incriminé aurait bien besoin d’un conseiller en image. Pas vraiment oiseau, à cause de ses dents, et pas vraiment chien, à cause de ses ailes, la chauve-souris est traditionnellement assimilée aux vampires. Et du suceur de sang à la fièvre hémorragique, il n’y a qu’un pas que Batman lui-même aurait bien du mal à ne pas franchir (Batman, l’homme chauve-souris qui, soit dit en passant, est le seul superhéros infoutu d’avoir des superpouvoirs). Alors quand on dit aux mangeurs de blanquette de veau que les Africains font des soupes de chiroptères, le dégoût se lit sur leurs visages. Bien sûr, l’Africain ne se résume pas à ce qu’il mange, contrairement à ce que chante un Salif Keïta peu inspiré : "Africa oh, C’est ça son fort, manger beaucoup". Mais il n’échappe pas à la théorie du "Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es"…
S’il est illusoire que chaque culture respecte un jour, instantanément et sans grimacer, tous les modes alimentaires des autres, il serait dangereux qu’une mondialisation des menus lisse les spécificités. Serait-ce l’ambition du "Mondial de l’alimentation" qui entend définir, depuis ce dimanche, à Paris, la "planète food" ? À ce Salon international de l’alimentation sont représentés les poids lourds occidentaux de l’industrie agroalimentaire qui scrutent l’explosion des classes moyennes africaines. Ces Africains au pouvoir d’achat propice à la consommation de produits importés chercheraient, selon les spécialistes, un "accès à la diversification de leur alimentation". Le ndolé, l’attieké, le fumbwa, le mafé et le poulet DG ne constituent-ils pas déjà une base particulièrement variée ? La "diversification" invoquée cacherait-elle un glissement vers une européanisation des codes alimentaires finalement sources d’uniformisation ? En attendant que les escargots finissent, en Afrique, le travail de popularisation que les chauves-souris doivent achever en Europe, ils sont déjà nombreux, les biens nourris africains qui tranchent volontiers un reblochon arrosé de Beaujolais nouveau. Une manière d’affirmer un accès au succès personnel à dimension internationale.
La "diversification" invoquée cacherait-elle un glissement vers une européanisation des codes alimentaires.
Puis la posture alimentaire devient une habitude, tant les enfants de ces familles ne grandissent qu’avec ces menus occidentaux ; une habitude qui, comme l’exception de la règle, n’empêchera pas une nouvelle posture : dans tout portrait chinois made in Africa, la personnalité interviewée indiquera systématiquement que son plat préféré est une recette du terroir, consommée de préférence à la main. Pas sûr, pour autant, que son cuisinier en uniforme prépare si souvent du tô ou du koliko…
Il en est ainsi : les cuisines africaines de ceux qui ont les moyens négligent les ingrédients du cru. Tout autant que ces ingrédients ont du mal à s’affirmer dans des rencontres comme le Mondial de l’alimentation, au milieu de 150 pays représentés, parmi lesquels les traditionnels mastodontes étasuniens, européens et les nouveaux Brésiliens, Turcs ou Coréens. Il reste le positionnement de quelques restaurants exotiques à la capacité modeste et des débats alternatifs, encore marginaux, comme celui sur le "slow food". Les anti fast-food qui font la promotion des légumes "moches" et invendables pourraient peut-être se pencher sur le blues de la chauve-souris…
Tout de même, tous ces débats sur l’évolution des goûts africains ne sont-ils pas légèrement élitistes ? La préoccupation du résident moyen du continent, plutôt que de savoir s’il mangera à l’européenne ou à l’africaine, n’est-elle pas de savoir s’il mangera, tout simplement, en période de “soudure” ? Fort heureusement, le nouveau rapport “Global Hunger Index” décrit, en Afrique subsaharienne, des progrès significatifs dans la lutte contre la faim à insuffisance pondérale, présentée comme étant le principal indicateur de la faim et de la sous-alimentation. Mais l’International Food Policy Research Institute (Ifpri), concepteur du rapport, reconnaît que la question de la faim persiste pour 805 millions de personnes dans le monde, avec notamment une insécurité alimentaire "extrêmement alarmante" dans des pays comme le Burundi et l’Érythrée.
Cuisse de grenouille ou mollet de roussette ? De toute façon, les humains mangeront ce que les biocarburants voudront bien leur laisser …
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Par Damien Glez
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