Tunisie : la nouvelle vie du musée du Bardo
Ciblé par une attaque terroriste meurtrière le 18 mars 2015, le musée national du Bardo est devenu un symbole de résistance dans la lutte antiterroriste en Tunisie. Et tente tant bien que mal de redorer son image.
« Qui ne connaît pas le musée du Bardo aujourd’hui ? », demande son ancien (2003-2012) conservateur en chef Taher Ghalia, aujourd’hui directeur de la division des musées à l’Institut national du patrimoine (INP). Mais dans les grandes salles du bâtiment historique, les visiteurs se font encore rares.
Inauguré en 1888 pendant le protectorat français, le musée Alaoui s’installe dans le palais du Bey régnant dont il prend le nom, avant de devenir celui du Bardo en mars 1956, après l’indépendance de la Tunisie. Mitoyen du Parlement, il abrite de riches collections archéologiques retraçant l’histoire multiculturelle de la Tunisie à travers les époques phénicienne, numide, romaine, chrétienne ou encore arabo-islamique. Son exceptionnelle collection de mosaïques complète le tableau pour en faire l’un des principaux musées du bassin méditerranéen.
Un symbole en quête de re(con)naissance
Agrandi et rénové en 2012, il espère atteindre, voire dépasser son pic de fréquentation de 2005 (600 000 visiteurs, 500 000 en 2007). « Le Bardo est le navire amiral de notre patrimoine, mais il est aussi mal connu des Tunisiens. Nous voulons attirer davantage le public national, et nous avons réorganisé les salles pour présenter un parcours chronologique et didactique », expliquait à l’AFP le conservateur de l’époque, Taher Ghalia.
Mais la révolution de 2011 n’aidant pas, les chiffres stagnent à environ 100 000 visiteurs par an, avant de commencer à redécoller lentement à partir de 2012. Jusqu’à ce terrible 18 mars 2015.
Devenu, depuis, le passage obligé des personnalités étrangères en visite officielle à Tunis, le musée peine encore à remplir ses salles. Ces deux dernières années, le taux de fréquentation (basé sur le nombre d’entrées payantes) a tourné autour de 150 000 visiteurs par an.
Les Tunisiens ont redécouvert leur musée et renoué avec un pan de leur héritage
« Il y a eu un petit sursaut juste après l’attaque, grâce à une mobilisation nationale et internationale. Les Tunisiens de tous âges ont redécouvert leur musée et renoué avec un pan de leur héritage. Plus d’écoles organisent régulièrement des visites, par exemple », fait remarquer Taher Ghalia à Jeune Afrique. « Mais les chiffres sont encore trop bas pour un musée de cette envergure, d’autant qu’il peut désormais accueillir jusqu’à un million de visiteurs par an. »
L’ancien conservateur confie néanmoins être « optimiste pour l’avenir », et fier du succès des expositions présentées au Bardo. À l’instar de celle intitulée « L’indice d’une suite », imaginée par l’association franco-tunisienne Kasbah Nova, ou de la dernière en date « Lieux saints partagés », – réalisée en partenariat avec le Musée national des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée de Marseille (MuCEM) -, qui a pris fin le 12 février. Des expositions porteuses de messages forts « de modernité, de paix, de tolérance, d’ouverture aux autres et de coexistence », poursuit Taher Ghalia.
https://www.youtube.com/watch?v=A_1o-pcmp1M
Spot contre le terrorisme, filmé à l’intérieur du musée du Bardo et publié en avril 2015, un mois après l’attaque.
Les partenariats avec d’autres musées du monde se multiplient également. Des échanges avec l’Italie ont par exemple permis d’exposer à Tunis le buste de Hannibal, de mai à juin 2016, et de présenter « Identités fluides », un travail inter-écoles sur le thème du design, en octobre de la même année. Le musée du Bardo accueillera aussi, du 22 mars au 24 mai 2017 l’exposition « Carthage rediscovered : Humbert in Tunisia » (du musée des antiquités de Leyden aux Pays Bas). Des discussions sont également en cours avec «nos collègues espagnols », affirme Taher Ghalia.
« Le Bardo joue un rôle très important aujourd’hui en Tunisie. C’est un atout pour le pays, un exemple du mieux-vivre ensemble. » Un carrefour culturel et religieux en quête d’une reconnaissance autre que celle de martyr du terrorisme. Mais plusieurs mesures doivent encore être prises pour cela, car « un public, ça se gagne », rappelle le directeur de la division des musées à l’INP.
Des efforts de communication et de gestion
« Il faut maintenant améliorer l’image du musée », ajoute-t-il. L’idée n’étant pas d’oublier la journée noire du 18 mars, mais d’écrire une nouvelle page, en signe de résilience. De renaissance, même.
Et pour encourager les visiteurs, notamment étrangers, à revenir, il faut non seulement les rassurer sur la sécurité du site, mais surtout soigner l’accueil. Si à l’époque de l’attaque, presque aucune caméra de surveillance n’était en état de marche, elles fonctionnent aujourd’hui « en grande partie ». C’est un « lieu sûr », affirment les autorités tunisiennes.
Il faudrait revoir la politique tarifaire du musée et réfléchir à de nouvelles incitations pour les visiteurs, comme des « pass » ou des abonnements
Des mesures visent également à mieux encadrer le public et à former le personnel, en particulier celui qui est en contact direct avec les visiteurs. L’image du musée en dépend. « Nous réfléchissons à un statut pour les surveillants de salle, avec la possibilité de les titulariser progressivement », nous confie Taher Ghalia. Une requalification du personnel est aussi en cours, via notamment des formations nationales et à l’étranger organisées autour de la restauration, de la conservation et de la valorisation du patrimoine. Un projet de la loi sur le cadre juridique et la gestion des musées en Tunisie est par ailleurs en préparation.
Il faudrait également revoir la politique tarifaire du musée, reconnaît Taher Ghalia, et réfléchir à de nouvelles incitations pour les visiteurs, comme des « pass » ou des abonnements. Et une bonne communication est essentielle, ce qui n’est pas encore le cas.
« On doit mettre d’avantage en avant les richesses culturelles et historiques de ce musée », donner aux gens envie de se déplacer puis de revenir. Un travail doit être fait en ce sens « pour animer l’endroit, qui comprend aussi une librairie-boutique (depuis 2012), et le rendre plus convivial ». La cafétéria, prévue dans les travaux, n’a, elle, toujours pas vu le jour. Il est encore trop « froid », d’après Taher Ghalia, pour qui il reste donc encore beaucoup à faire pour donner au musée du Bardo le cachet qu’il mérite.
Un manque d’attractivité est également dénoncé par de nombreux Tunisiens, certaines collections -de la préhistoire ou de la période numide notamment- n’ayant par exemple pas été réinstallées depuis la rénovation du musée. Les pièces, pas toujours assez bien protégées, sont « perdues », mal mises en valeur, dans des espaces trop grands, la librairie est mal entretenue, et il arrive aux ascenseurs et à la climatisation de tomber en panne, déplorent les visiteurs.
Mais « nous espérons un avenir meilleur, et nous y travaillons », assure l’ancien conservateur en chef.
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