Maroc – Hubert Seillan : « Le procès de Gdeim Izik n’est pas un procès politique »
Pour l’avocat français qui assiste aux audiences en tant qu’observateur, les actes pour lesquels les 25 sahraouis sont jugés sont purement criminels. Il dénonce des manœuvres politiciennes de la part de ces derniers, dans un procès qu’il qualifie d’équitable.
La Cour d’appel de Salé poursuit, ce lundi 27 mars, les interrogatoires des vingt cinq prévenus sahraouis poursuivis dans le cadre du procès de Gdeim Izik. Ils sont accusés d’avoir tué onze membres des forces de l’ordre marocaines en novembre 2010, près de la ville de Laâyoune. Un procès tendu, où les avocats des accusés dénoncent le contexte hostile dans lequel leurs clients sont jugés.
Pour prouver leur transparence, les autorités marocaines ont autorisé les observateurs internationaux à y assister. Dans cette interview, Me Hubert Seillan, avocat au barreau de Paris et observateur pour le compte du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), livre ses observations.
Jeune Afrique : Quelles sont vos impressions sur le déroulement des audiences ?
Me Hubert Seillan : J’ai été très étonné, comme d’autres observateurs étrangers, de constater la grande liberté accordée aux avocats d’interrompre le président et le ministère public, de les interpeller sur des points de procédure et sur la capacité qu’ils ont à planifier les différentes étapes du procès. En droit, cette procédure judiciaire est appelée « contradictoire », contrairement à celle française qui est « inquisitoire ». En France, c’est le président qui dirige les débats et ne donne la parole aux avocats que quand il l’entend. Cette procédure contradictoire s’inscrit dans l’évolution des lois judiciaires au Maroc. Mais en même temps, elle est très compliquée, car la parole libre peut retarder l’issue du procès.
Pourquoi le Maroc a-t-il recouru à cette procédure ?
J’ai le sentiment que le royaume est partagé entre sa volonté de réprimer des actes criminels et le souci de montrer qu’il est devenu exemplaire sur le plan de la démocratie. Toute la difficulté pour le président de la Cour est de trouver un équilibre entre ces deux enjeux.
Pourtant, la défense fait valoir que les accusés sont jugés dans un contexte hostile…
Ce n’est pas exact. Ils ont une grande liberté de mouvement. Ils ont une télévision dans leur box, ils se lèvent et circulent comme ils veulent. Ils interviennent, coupent la parole et font du bruit. En France, des prisonniers qui se manifesteraient comme ils le font seraient chassés de la salle. La défense cherche à ce que le procès ait un caractère politique, contrairement au Maroc, pour qui l’enjeu est judiciaire.
La difficulté pour le Président de la Cour est de résister aux provocations
C’est aussi un procès politique pour le Maroc, vu qu’il se rattache au conflit autour du Sahara occidental…
Que le Sahara soit une affaire politique, j’en conviens, mais on ne parle ici que du procès. Ce que je veux dire, c’est que les prévenus refusent toute logique judiciaire et utilisent le procès comme une caisse de résonance. Quand ils arrivent dans leur box, ils le font en invoquant des slogans indépendantistes.
Les autorités marocaines ne réagissent-elles pas ?
Elles les laissent faire. Au bout d’un moment, ils s’arrêtent. Mais il est arrivé plusieurs fois qu’ils interviennent au beau milieu de l’audience, insultant le Président, les avocats de la partie civile et le procureur. Ils créent la cohue dans la salle. C’est un procès très tendu. Contrairement à eux, les familles des victimes n’ont pas cette violence verbale. Elles demandent de fortes peines mais ne crient pas.
Selon la défense, la justice marocaine a refusé de réceptionner un document écrit en français au motif que la loi l’oblige à n’accepter que les documents en arabe. Cette exigence a-t-elle une base dans le Code de procédure pénal marocain ?
La position de la Cour repose sur le texte de la Constitution marocaine de 2011 qui dit que les procès se font en langue arabe, la langue officielle du pays. J’étais assis à côté de l’avocat français qui a tenu tête au Président de la Cour sur cette question en lui lançant des mots très durs.
Cherchait-il à le provoquer ?
C’était clair. La difficulté pour le Président de la Cour est de résister aux provocations. L’image du Maroc à l’international est engagée avec ce procès et il n’a pas intérêt à ce qu’il soit entaché d’irrégularités.
La Constitution marocaine oblige les juges à n’utiliser que l’arabe
Qu’en est-il des allégations de torture soutenues par la défense ?
Les avocats des prévenus font leur travail. Et c’est normal. Ils ont contesté des pièces de la procédure et évoqué des cas de torture. Vous savez, dans tous les pays du monde, quand il y a des événements comme ceux de Gdeim Izik, la police intervient d’une façon brutale. Est-ce qu’elle a torturé ? Je n’en sais rien. C’est le procès qui va se prononcer dessus. Outre la torture, la défense a aussi demandé que la vidéo de ces événements réalisée par la gendarmerie marocaine soit authentifiée.
Le juge marocain a-t-il accédé à cette requête ?
Cette authentification est déjà engagée. Les avocats des prévenus font des demandes et la justice y répond. Ils n’obtiennent pas tout, c’est normal, mais ils obtiennent beaucoup. C’est le propre de la procédure contradictoire.
Les accusés veulent que la Cour de Salé se dessaisisse de ce procès au profit d’un tribunal militaire situé au Sahara occidental, en vertu de la convention de Genève, que le Maroc a ratifié. En tant que juriste, quelle peut être l’issue de cette demande ?
Un défenseur a toujours le droit d’invoquer. Le seul problème est qu’il s’agit de faits qui ont un caractère criminel avéré et qu’ils ont eu lieu sur un territoire sous souveraineté marocaine. En tant qu’observateur, je pense que le juge ne pourra jamais répondre à cette requête. La défense l’évoque pour donner une dimension internationale au procès. En un mot, elle veut délégitimer le procès marocain.
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