« Sale Marocain ! »
Il existe aux Pays-Bas une institution nommée "Kinderombudsman", qui est chargée de veiller sur la bonne santé des enfants du pays, ou plutôt sur leur "bien-être". Par exemple, les services du Kinderombudsman suivent attentivement ce qui se passe dans les cours de récréation. Étonnant, non ? Je ne sais pas comment ils font cela.
Ont-ils des micros cachés dans des lieux stratégiques, des agents secrets parmi les mômes ? Cela donnerait un tout autre sens au fameux 007 de James Bond : 7 ans, ce serait l’âge des petits espions que le Kinderombudsman lâcherait dans les écoles, vêtus d’un manteau couleur mastic et équipés de micros-sucettes multicolores – mais on s’égare, revenons à nos moutons, ou plutôt à nos mômes.
Les services du Kinderombudsman tiennent une statistique rigoureuse des insultes que s’échangent les enfants dans les cours de récré : pas une injure, pas un nom d’oiseau qui ne soit soigneusement enregistré pour l’éternité et pour les sociologues, qui raffolent de ce catalogue d’invectives. Après tout, on a là une image de ce qui se passe en plus grand dans la société, au-delà des murs de l’école. Ne dit-on pas que la vérité – fût-elle peu ragoûtante – sort de la bouche des enfants ?
J’ai eu la curiosité de lire le dernier rapport du Kinderombudsman (j’ai des loisirs) et là, je suis tombé sur une information que je m’empresse de partager avec vous, fidèles lecteurs. Cette nouvelle capitale, sonnez hautbois, résonnez musette, la voici : pour la première fois dans l’histoire des Pays-Bas, l’insulte "sale Marocain !" a dépassé en nombre d’occurrences, dans les cours de récré, le vénérable "sale Juif !", dont la première apparition est signalée au début du Moyen Âge – ce qui ne nous rajeunit pas. 11,82 % pour nous, 8,18 % pour les Juifs, et un ridicule 3,64 % pour "sale Turc !" : nous gagnons haut la main. La cour de récré étant, selon Cocteau, le bouillon de culture dans lequel se forme la civilisation de demain, cet événement est d’une importance capitale.
Maintenant, je sais des Marocains que cela va attrister ; la larme à l’oeil, la rage aux dents, ils serreront les poings et s’exclameront des choses amères. Calmez-vous, chers compatriotes, il s’agit en fait d’une bonne nouvelle. Tout d’abord, cette première place sur le podium de l’avanie prouve que nous existons vraiment, que nous marquons notre siècle, que nous sommes devenus incontournables. Combien de "sale Tibétain !", de "sale Colombien !" dans le palmarès ? Aucun ! Par ailleurs, cette médaille d’or remportée de haute lutte va nous galvaniser. Spinoza, Marx, Freud, Einstein, mille autres savants et artistes ont essuyé des "sale Juif !" dans leur enfance : voyez ce qu’ils sont devenus.
Notre entrée triomphale dans le panthéon de l’outrage va décupler notre énergie, notre rage de vaincre, notre soif de revanche. Dans quelques années, nous allons, nous aussi, commencer à collectionner les prix Nobel. Aux petites têtes blondes qui pépient aujourd’hui "sale Marocain !" dans les bacs à sable, nous ne disons qu’une seule chose : merci !
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