« Kaboul était un vaste jardin » : comprendre l’Afghanistan avec Qais Akbar Omar
Dans un roman envoûtant, Qais Akbar Omar revient sur l’histoire contemporaine d’un pays qui a sombré dans l’horreur. Et nous en dévoile toute la complexité.
"Avant les combats, avant les obus, avant les seigneurs de la guerre […], avant la mort ou le départ soudain […] de tant de gens que nous connaissions, avant les talibans et leur folie, avant l’odeur quotidienne de la mort flottant dans l’air et le sol imbibé de sang, nous vivions bien."
Dans son roman Kaboul était un vaste jardin, Qais Akbar Omar nous rappelle, de manière poignante, qu’il y a eu effectivement un "avant" de l’Afghanistan. Blasés, saturés d’images horribles et de nouvelles accablantes en provenance de Kaboul depuis des décennies, nous avons tendance à oublier qu’il fut un temps où les Afghans vivaient en paix.
Tolstoï
L’auteur enfonce le clou : "Nos voisins étaient comme nous, des gens tranquilles et éduqués." Dans la maison du grand-père, où cohabitent le père et six oncles de l’auteur, ainsi que leurs familles, on lit énormément : de la poésie (Rumi, Hâfiz et Omar Khayyam, bien sûr) mais aussi Tolstoï ou Thomas Mann. Les femmes ne sont pas exclues de ces fêtes de l’intelligence. Les seules batailles auxquelles se livrent les hommes mettent en jeu les fameux cerfs-volants dont les Afghans raffolaient.
Image idyllique, un peu exagérée, nourrie par la nostalgie ? Peut-être. Mais c’est pour mieux souligner la catastrophe qui va s’abattre sur le pays : "Une nuit l’air fut saturé des cris inattendus d’Allah akbar et rien, depuis, n’a plus jamais été pareil." Nous sommes en 1992. Après dix années de combats contre les Russes, les moudjahidine afghans entrent dans Kaboul. La suite du récit se lit comme un cours d’histoire contemporaine de l’Afghanistan vu par les yeux d’un garçon sensible et attachant qui va grandir dans un univers devenu une vaste scène de brigandage et d’horreurs. Les talibans n’ont pas encore gagné la partie. La guerre civile fait rage.
foisonnant
La famille prend la fuite. Dans un fortin, à Qala-e-Noborja, on veut croire que tout cela est provisoire. Mais les tribulations reprendront, on ira même jusqu’à vivre dans des cavernes creusées derrière les fameux bouddhas géants de Bamiyan, entre-temps détruits par des fanatiques qui inventaient ainsi un nouveau type de crime contre l’humanité. Impossible de résumer ce livre foisonnant, envoûtant. Il contient aussi des renseignements étonnants sur l’état d’esprit des Afghans.
On se demande comment Bernard Kouchner lirait ces phrases consacrées à son ami le fameux commandant Massoud : "Tout le monde était effrayé à l’idée qu’il tente [à l’été 2001] de reprendre Kaboul, relançant ainsi une guerre stupide […]. [Les talibans] étaient cruels et ignorants, mais ils avaient ramené l’ordre dans le pays." L’Afghanistan est bien plus complexe que ce que nous en dit la vulgate distillée à Washington ou à Bruxelles. Heureusement, des témoignages comme celui-ci, passionnants et précis, nous disent ce qu’il en est exactement.
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