Haïti : Gone, Baby, gone !

Jean-Claude Duvalier, alias Baby Doc, a définitivement quitté la scène le 4 octobre. Destination : l’enfer. Honni partout dans le monde, l’ex-dictateur a failli avoir droit à des obsèques nationales.

Partisan de l’ancien chef de l’État devant le tribunal de Port-au-Prince, en 2013. © Thony Bélizaire/AFP

Partisan de l’ancien chef de l’État devant le tribunal de Port-au-Prince, en 2013. © Thony Bélizaire/AFP

Publié le 13 octobre 2014 Lecture : 3 minutes.

Quand la nouvelle de la mort de Jean-Claude Duvalier, victime d’une crise cardiaque à l’âge de 63 ans, est tombée, le 4 octobre, Michel Martelly a réagi sur Twitter en ces termes : "En dépit de nos querelles et de nos divergences, saluons le départ d’un authentique fils d’Haïti."

Le chef de l’État, qui n’a jamais caché ses accointances duvaliéristes, a même songé à offrir à son prédécesseur des obsèques nationales, avant d’y renoncer. Baby Doc n’a finalement eu droit qu’à une cérémonie privée le 11 octobre. La famille Duvalier aura opprimé son peuple durant près de trois décennies (1957-1986) sans jamais avoir à en payer le prix.

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Comme l’a écrit presque aussi vite le romancier Lyonel Trouillot, celui que l’on surnommait Baby Doc était avant tout le fils de son père. Un héritier, et rien d’autre, qui perpétua, certes avec moins de zèle et à un âge (dès 19 ans) où l’on a déjà bien du mal à se gouverner soi-même, la dictature imposée par le docteur François Duvalier ("Papa Doc") et ses fameux "Tontons Macoutes". "Les Duvalier tuaient les vivants et les morts, n’avaient "d’ennemis que ceux de la nation", traitaient leurs victimes d’apatrides, leur interdisaient tombes et funérailles", rappelle Trouillot. L’on estime à près de 30 000 le nombre de victimes de leur règne.

Longtemps, les Haïtiens ont pensé que Baby Doc ne s’éteindrait pas là où il est né le 3 juillet 1951 : à Port-au-Prince. Contraint par son peuple, qui le vomissait, autant que par ses ex-amis américains et français à fuir son pays le 7 février 1986 après quinze années d’une répression implacable, il semblait destiné à un exil éternel. Il est pourtant revenu au bout d’un quart de siècle, le 16 janvier 2011, à la surprise générale et à la faveur du chaos provoqué par un terrible séisme survenu un an plus tôt (plus de 200 000 morts).

Vieux démons

Il disait alors vouloir aider son pays à se relever. À sa manière – en réveillant de vieux démons – et bien malgré lui, il y a contribué. Deux jours après son arrivée en provenance de Paris, il était entendu par la justice et interdit de quitter le territoire. Trois ans plus tard, après de multiples tergiversations judiciaires et en dépit des marques de respect que lui témoignait Martelly (invitations aux cérémonies officielles, octroi d’un passeport diplomatique), il était inculpé de crimes contre l’humanité.

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Les victimes de son régime – les pères, mères, maris, femmes et enfants de ceux qui avaient eu droit aux tortures mais pas à une tombe – espéraient bien qu’enfin la justice allait passer. "Si Jean-Claude Duvalier venait à être jugé pour crimes contre l’humanité, ce serait le procès le plus important de l’histoire d’Haïti", s’enthousiasmait Reed Brody, le célèbre "chasseur de dictateurs" – celui-là même qui est à l’origine des poursuites engagées contre le Tchadien Hissène Habré.

Ce procès n’aura jamais lieu. Duvalier, qui laisse derrière lui deux enfants, une femme et 4,6 millions d’euros volés lors de sa fuite et que la Suisse promet de restituer à son pays depuis des années, échappera donc à la justice haïtienne comme il a échappé à la justice française durant son exil sur la Côte d’Azur. Tout le monde en Haïti le savait fragile, mais personne ne le croyait à l’article de la mort.

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Sa silhouette était même redevenue familière à Pétionville, banlieue huppée de la capitale où il était fréquent de le croiser, seul, au volant de sa voiture. Pourtant, "dans les rues et dans les foyers, la nouvelle n’a pas créé de grandes émotions", écrit Trouillot. Baby Doc semblait "à peine vivant", c’était "un fantôme". Et il le restera. Comme l’affirmait en 2011 l’ONG Amnesty International en première page d’un rapport consacré au "dossier" Jean-Claude Duvalier, "on ne peut pas tuer la vérité".

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