Kenya – CPI : Uhuru Kenyatta dans le rôle du martyr

Accusé de crimes contre l’humanité, le président kényan a comparu devant la Cour pénale internationale. En s’y rendant de son plein gré, il a montré sa bonne volonté. Et en a profité pour jouer les victimes.

À La Haye, le 8 octobre. © Peter Dejong/Pool/AFP

À La Haye, le 8 octobre. © Peter Dejong/Pool/AFP

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 15 octobre 2014 Lecture : 3 minutes.

Il est reparti comme il était venu, libre, tranquille et détendu. Premier chef d’État en exercice à comparaître devant la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye, Uhuru Kenyatta, 52 ans, vient de démontrer une fois de plus qu’il a fort bien retenu les leçons de politique reçues de son père, Jomo Kenyatta, et surtout de son mentor, l’autocrate Daniel arap Moi, qui présidèrent longtemps aux destinées du Kenya. Pour l’habileté, il semblerait même que l’élève ait dépassé ses maîtres !

Poursuivi par la CPI pour crimes contre l’humanité, le dirigeant doit répondre de son rôle présumé dans les violences postélectorales qui ensanglantèrent le pays entre fin 2007 et début 2008, faisant 1 300 morts. Uhuru Kenyatta est en effet soupçonné d’avoir soutenu, à l’époque, la secte kikuyue des Mungiki lors des attaques qui l’opposait aux Kalenjins, menés par William Ruto, aujourd’hui vice-président et lui aussi accusé par la CPI. Les deux leaders auraient ainsi incité des groupes rivaux à s’entredéchirer.

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Dans un de ces renversements d’alliance spectaculaires dont le Kenya a le secret, Kenyatta et Ruto ont ensuite formé un tandem gagnant, en 2013. Une tactique qui leur a permis de réconcilier deux importants blocs ethniques du pays et de remporter l’élection présidentielle, mais qui a débouché sur une situation inédite : désormais, l’une des économies les plus dynamiques d’Afrique de l’Est est dirigée par deux hommes poursuivis pour crimes contre l’humanité…

Occuper l’espace médiatique

Alors que le procès de William Ruto a déjà commencé, celui d’Uhuru Kenyatta a été plusieurs fois reporté. Mais contrairement au président soudanais Omar el-Béchir, qui a refusé de collaborer avec la CPI – et écopé d’un mandat d’arrêt international -, le président kényan a su adroitement se glisser dans les habits du martyr innocent.

La convocation du 8 octobre pour une audience "technique" – dite conférence de mise en état – aura été pour lui l’occasion d’occuper l’espace médiatique. Laissant un temps planer le doute sur son éventuelle participation, il a soigneusement mis en scène son départ, soulignant qu’il se rendrait "à titre personnel" devant les juges et financerait lui-même son voyage. Parti en jean et coiffé d’une casquette, Kenyatta s’est présenté à l’audience en costume sombre, accompagné de nombreux partisans habillés aux couleurs du pays.

Impassible et silencieux, il a écouté le juge Kuniko Ozaki demander un ajournement sine die de la procédure.

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Représenté par l’avocat britannique Steven Kay, célèbre pour avoir défendu le président serbe Slobodan Milosevic, l’accusé n’a fait aucune déclaration. Impassible et silencieux, il a écouté le juge Kuniko Ozaki demander un ajournement sine die de la procédure, faute de pouvoir accéder à des éléments essentiels comme les relevés téléphoniques et les comptes du (riche) prévenu. La défense a démenti toute obstruction du gouvernement kényan et s’est engouffrée dans la brèche, attaquant un dossier vide de preuves – de nombreux témoins s’étant rétractés.

Manoeuvres dilatoires

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Après avoir vertement fustigé "la partialité" de la CPI, Kenyatta a finalement collaboré au minimum, juste assez pour ne pas fâcher son proche allié américain et pour garder sa liberté de mouvement. Contre une bureaucratie kényane censée fournir des preuves, mais qui a multiplié les manoeuvres dilatoires, et un gouvernement qui serre les rangs, la CPI ne pourra pas grand-chose.

Rien de surprenant, quand on sait que le Parlement kényan avait refusé de mettre sur pied un tribunal local ad hoc pour juger les violences de 2007-2008. Après trois heures d’audience, Kenyatta a quitté la salle libre, sans qu’aucune décision n’ait été prise. Bourreau en son pays ou martyr poursuivi par une justice néocoloniale ? Au grand dam des victimes, il n’y a aujourd’hui guère de chances qu’un procès permette de trancher cette question.

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