On vous aura prévenus
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 17 octobre 2014 Lecture : 3 minutes.
La liberté d’expression ne s’est jamais aussi mal portée en Afrique qu’aujourd’hui. Je ne parle pas de celle qui autorise les médias à naître, à diffuser, à paraître et à dire – celle-là va globalement de mieux en mieux, ou de moins en moins mal -, mais de celle qui leur permet de vivre dans l’indépendance, la dignité et le respect de la déontologie.
Les exemples sont à nos portes : il ne se passe pas une semaine sans que nous constations la reprise intégrale d’articles de Jeune Afrique dans une bonne dizaine de journaux du continent, sans autorisation préalable de notre part et parfois sans aucune mention de la source. Cette pratique n’est certes pas nouvelle, et nos lecteurs chevronnés se souviennent sans doute de l’époque où des numéros entiers de J.A., dûment "photocopillés", se vendaient au prix fort sur les artères de Kinshasa, de Douala ou d’Abidjan.
Une bien mauvaise manière de faire que le développement de l’internet a démultipliée. C’est désormais notre site jeuneafrique.com, voire nos communiqués de presse qui font le miel des hackers de l’information. Quant au journal lui-même, il lui arrive souvent d’être photographié page après page avec un simple portable, puis diffusé sur la Toile par des sites qui ont fait de ce type de piratage leur spécialité.
Sans doute n’est-ce pas un hasard si ceux-là mêmes qui nous pillent sans vergogne, comme si J.A. relevait du domaine public, sont souvent les principaux propagateurs du virus qui ronge l’internet africain : pour une poignée de sites respectables, combien de vecteurs vérolés par la diffamation, la rancoeur, la rumeur systématiquement malveillante, l’absence de toute vérification et qui se parent de titres aussi ronflants qu’usurpés ?
Les mots "news", "info", "actu" font florès, qui attirent le chaland sur un contenu exactement inverse. Et que devient là-dedans la profession de journaliste ? Elle se délite, tant ceux qui se revendiquent comme tels et en déshonorent le sens portent atteinte aux autres, qui se battent chaque jour pour en illustrer les vertus. On nous rétorquera qu’en Afrique rares sont les journalistes à pouvoir vivre décemment de leur métier et qu’en dehors de ceux qui officient dans les médias officiels (et encore…) leur quotidien est celui d’un métier de chien où l’alternative est souvent celle-ci : la corruption ou le coup de bâton, parfois les deux à la fois et le mépris à la clé.
Cercle vicieux : si les régimes en place ne respectent pas les journalistes, c’est aussi, ne nous voilons pas la face, parce que certains d’entre eux ne sont pas respectables. Comment nous, à J.A., pourrions-nous défendre ce quotidien camerounais qui titrait récemment à la une sur "Le complot de Jeune Afrique contre Biya" après nos révélations sur la disparition d’un opposant historique ? Ou cette chaîne de télévision, basée dans le même pays et financée par un émirat pétrolier voisin, qui relaie des appels à se saisir des exemplaires de notre journal pour les brûler en place publique ? Ou ce site d’"information" malien qui, malgré nos multiples protestations, s’obstine à reprendre ce qui lui plaît dans jeuneafrique.com en s’en attribuant la paternité ?
En Europe, en France où nous sommes établis, l’injure, l’insulte, la reproduction sans autorisation, le viol de copyright sont punis par la loi. Dans la plupart des pays africains aussi, tout au moins en théorie. Jusqu’ici, parce que, entre autres motifs, émanant de nous, une telle réaction n’aurait été ni comprise ni admise, nous nous sommes refusé à recourir à la justice.
Mais si c’est là le seul moyen de faire comprendre que l’indépendance de Jeune Afrique a un coût et qu’il n’est plus tolérable de nous diffamer sans en payer le prix, nous devrons bien nous y résoudre. Avec détermination.
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