L’Occident et « les autres »

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 16 octobre 2014 Lecture : 5 minutes.

La croissance économique y est désormais plus faible que dans le reste du monde et il peine à sortir de la crise qui l’a frappé en 2008. Mais il continue de tenir le volant et de diriger la planète.

Il édicte les règles morales, s’en exonère souvent, mais veille à ce que les autres les appliquent.

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Ceux qui ne respectent pas "les lignes jaunes" qu’il a tracées sont rappelés à l’ordre. Et, s’ils persistent, reçoivent des sanctions dont il dose la sévérité.

Pas tous cependant !

Si l’Iran et la Russie sont venus compléter la liste, en aucun cas ne sont sanctionnés Israël, quoi que fasse son gouvernement, ni l’Arabie saoudite, aussi condamnables que soient son régime et ses actes.

En ce moment, l’Occident, puisque c’est de lui qu’il s’agit, truste les prix Nobel. À sa tête depuis plus d’un demi-siècle, les États-Unis sont à la manoeuvre sur tous les fronts.

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De "l’Occident, Régis Debray dit : c’est à la fois une zone, une organisation et un projet.

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La zone correspond à l’espace euro-atlantique, ce "premier monde" jadis nommé par opposition au "second monde", le bloc communiste, et au Tiers Monde. C’est l’aire chrétienne moins le monde orthodoxe.

L’Occident, c’est en deuxième lieu une organisation politico-militaire, offensive et expansive, l’Otan, "l’instrument de l’hégémonie américaine", comme disait de Gaulle. Malgré son nom, elle n’est plus liée à l’Atlantique Nord, puisqu’elle opère en Afrique comme en Asie centrale, dans ce qu’on appelait naguère le hors-zone.

L’Occident, c’est enfin un projet, la volonté de moderniser la planète selon l’acception qu’il donne de la modernité, à savoir un mélange de marché libre, d’hyperindividualisme et de bonne gouvernance, qui serait l’art de gérer les pays comme des entreprises." D’où tire-t-il sa force et sa centralité ?

L’historien néoconservateur britannique Niall Ferguson répond : "Aucune autre civilisation ne s’est imposée au reste du monde comme l’a fait l’Occident.

En 1500, les futures puissances impériales d’Europe couvraient 5 % des surfaces émergées du globe et représentaient au mieux 16 % de sa population. En 1913, onze empires occidentaux contrôlaient près des trois cinquièmes de la population et du territoire mondiaux, et réalisaient un vertigineux 74 % de la production économique mondiale.

En Angleterre, l’espérance de vie était près de deux fois plus élevée qu’en Inde. L’essor des États-Unis creusa davantage l’écart entre l’Ouest et l’Est : en 1990, l’Américain moyen était 73 fois plus riche que son homologue chinois."

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Le même Niall Ferguson ajoute : "Six facteurs expliquent pourquoi l’Occident est devenu tellement plus riche et plus puissant que le reste du monde. D’abord l’idée de compétition, à la fois sur le plan politique et sur le plan économique. Puis la révolution copernicienne du XVIIe siècle – un phénomène étroitement ouest-européen.

Ensuite le règne de la loi pour protéger le droit de propriété. Ou encore la révolution de la médecine qui a fait plus que doubler l’espérance de vie. Et bien sûr l’instauration de la société de consommation, sinon à quoi aurait servi la révolution industrielle ? Et, enfin, l’éthique du travail."

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On le dit en déclin depuis le début de ce siècle, mais, pour l’heure, l’Occident exerce un pouvoir central, et son action concentre sur elle les critiques.

Nul ne sait cependant si d’autres auraient mieux fait, et il est raisonnable de prévoir que le ou les successeurs encourront les mêmes reproches.

L’Occident doit aujourd’hui, surtout dans sa partie européenne, faire reculer le chômage, qui touche près de 10 % de sa population active, et désendetter ses États, qui se sont habitués à vivre au-dessus de leurs moyens.

Mise à part la nécessité, dont il vient seulement de prendre conscience, d’aider trois pays d’Afrique de l’Ouest à guérir du fléau d’Ebola et d’en préserver ainsi le reste du monde, il se heurte en ce moment à trois pôles de résistance : la Russie, l’Iran, l’islam radical.

Il a accepté la renaissance de la Chine, qui, elle, a fait en sorte que sa prodigieuse croissance économique se fasse par le marché et en osmose avec l’Occident.

Qui a décidé de redonner sa place à "l’Empire du milieu", ce dernier veillant, jusqu’ici, à y aller le plus doucement possible de manière à n’effrayer personne.

Pourvu que cela dure.

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L’Iran, depuis qu’il est devenu une République islamique, en 1979, et la Russie, depuis qu’elle a perdu la guerre froide, en 1989, ont été, eux, exclus des bonnes grâces occidentales : du premier, l’Occident a fait un membre de "l’axe du mal", et à la deuxième, il rappelle constamment qu’elle a perdu la guerre, qu’elle doit rentrer dans ses frontières et s’y enfermer.

Ces deux grands pays n’accepteront pas l’arrogance avec laquelle l’Occident les traite, faite de déni de leurs droits et d’insensibilité à leurs sentiments nationaux.

Reste l’islam radical, personnifié par les jihadistes de Daesh, ou État islamique en Irak et au Levant.

Il s’agit en fait, à l’intérieur d’un "axe de crise" qui s’étend du Pakistan au golfe de Guinée, d’un début de révolte armée contre les régimes au pouvoir dans la région et contre l’Occident. Elle disposerait déjà de 30 000 combattants dotés d’armes à profusion, de milliers de véhicules militaires, de centaines de blindés et de chars, d’un encadrement et de moyens financiers adéquats.

L’analyste français Olivier Roy estime que "l’État islamique est l’expression d’un immense fantasme, d’un monde imaginaire. Il produit un effet de terreur pour paralyser l’adversaire mais, seul contre tous, il va indubitablement se faire battre."

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Les dirigeants de Daesh sont certes de piètres stratèges et ils ont d’emblée fédéré contre eux trop de forces vouées à les massacrer. Mais ils tirent leur avantage de leur détermination à mourir et à tuer, alors que l’idéal de leurs adversaires est de compter zéro mort dans leurs rangs.

Et le soulèvement qu’ils animent rencontre une vraie résonance chez les millions de "damnés de la terre" exclus du pouvoir et même de ses miettes par les oligarchies arabo-africaines qui l’ont accaparé pour elles et leurs proches.

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