Afrique du Sud : qui était Ahmed Kathrada, compagnon de lutte de Mandela ?
Ami de Nelson Mandela et figure historique de la lutte anti-apartheid, Ahmed Kathrada – surnommé « Oncle Kathy » ou « Camarade Kathy » – est décédé mardi à l’âge de 87 ans. Avec vingt-six années passées derrière les barreaux, il est l’un des plus célèbres prisonniers politiques de cette période sombre de l’histoire de l’Afrique du Sud.
Depuis des décennies, « Uncle Kathy était le meilleur ami de mon père, un frère, son confident », a déclaré, émue aux larmes, Zenani Mandela, mardi 28 mars, après l’annonce du décès d’Ahmed Kathrada, à l’âge de 87 ans, à la suite d’une opération. « Il fait partie de ces personnes qui entrent dans votre vie et n’en partent jamais », a-t-elle ajouté.
Depuis le siège de la Fondation Mandela, à Houghton, dans la banlieue de Johannesburg, la fille de Nelson et Winnie Mandela, âgée de 58 ans, a rendu un vibrant hommage au héros de la lutte anti-apartheid, « qui a accompagné [son] père dans ses derniers jours ».
Nous devons agir de sorte que leurs idéaux restent un fondement de ce pays
« Les regarder échanger des blagues et évoquer le passé est un souvenir impérissable », a-t-elle confié, ajoutant, d’un ton ferme : « En ce moment crucial, nous devons continuer de faire vivre leur héritage, honorer ce qu’ils ont accompli et agir de sorte que leurs idéaux demeurent un fondement de ce pays ».
Activiste dès le plus jeune âge
Ahmed Kathrada est né le 21 août 1929 à Schweizer-Reneke, commune rurale de l’ancienne province du Transvaal occidental (l’actuel province du Nord-Ouest), à 200 km au sud-est de Johannesburg.
Quatrième d’une fratrie de six enfants, il est d’origine indienne, ses deux parents ayant quitté Surate, ville de l’État du Gujarat (est), pour immigrer en Afrique du Sud.
Dès l’âge de dix ans, il distribue des tracts et inscrit des slogans politiques sur les murs. Deux ans plus tard, en 1941, il rejoint la Youth Communist League of South Africa (la jeunesse partisane du parti communiste sud-africain).
Sa rencontre avec Nelson Mandela
C’est au lycée qu’Ahmed Kathrada rencontre pour la première fois Nelson Mandela et d’autres figures de l’African National Congress (ANC) comme Walter Sisulu. Celui qui deviendra le premier président de l’Afrique du Sud post-apartheid en 1994 est alors étudiant en droit à l’université de Wits, à Johannesburg.
Ahmed Kathrada est arrêté et emprisonné pour la première fois en 1946, pour avoir protesté contre l’Asiatic Land Tenure Act et l’Indian Representation Act, limitant la représentation des Indiens et instaurant la ségrégation (restriction de l’espace où l’on peut habiter, devenir propriétaire et faire commerce).
Activiste actif – il soutient la grève générale pour la liberté le 1er mai 1950 et fait partie des organisateurs du « Congress of the People » qui s’est tenu en 1955 à Klipton, dans la banlieue de Johannesburg, qui marque l’adoption de la Charte de la liberté, texte fondateur de l’ANC – Ahmed Kathrada est inculpé l’année suivante de « haute trahison », comme 155 autres membres et leaders de l’ANC, puis acquitté.
Vingt-six ans derrière les barreaux
Au début des années 1960, il commence à participer aux réunions secrètes de l’ANC à Liliesleaf Farm, à Rivonia, dans la banlieue de Johannesburg. Arrêté lors d’un raid de la police, il est le plus jeune des accusés du procès de Rivonia, qui s’ouvre en 1963 à Pretoria, à l’issue duquel il échappe, aux côtés de Nelson Mandela, à la peine de mort mais écope de la prison à vie.
« Ce dont je me souviens, c’est le calme de Kathrada, son humour, sa capacité à voir que ce que nous faisions était une nécessité. Parce que nous ne pouvions laisser la tyrannie ainsi continuer », confie Denis Golberg, l’un des huit accusés du procès de Rivonia qui seront condamnés à la prison à perpétuité, à l’hebdomadaire sud-africain The Mail and Guardian, ce 29 mars.
Ahmed Kathrada passera vingt-six ans derrière les barreaux, dont dix-huit à la prison de Robben Island – il effectue le reste de sa peine à la prison de Pollsmoor. C’est de la bouche de Nelson Mandela, qui à cette époque était en résidence surveillée à la prison de Victor Verster, qu’il apprend sa libération à venir, le 15 octobre 1989.
L’information est confirmée le soir-même à la télévision : « J’ai regardé pour voir si mon nom y était. J’étais le numéro 8 », a-t-il raconté au site d’information sud-africain Daily Maverick. De retour dans sa cellule, il est convoqué avec ses camarades par le directeur de la prison le samedi soir suivant, qui leur explique qu’il vient de recevoir un fax ordonnant leur libération le lendemain. Réponse des détenus : « Qu’est-ce que c’est qu’un fax? ».
L’homme politique dans l’Afrique du Sud post-apartheid
Cette anecdote, Ahmed Kathrada ne se lasse pas de la raconter, souligne l’éditorialiste Ranjeni Munusamy du Daily Maverick qui l’interviewa à l’occasion du 25ème anniversaire de la libération des accusés de Rivonia.
« Kathy » estimait qu’il était l’un des plus « chanceux », car une famille l’attendait à sa sortie de prison. Un petit appartement, adjoint à la maison de son frère à Lenasia, dans la banlieue de Johanesburg avait été préparé pour lui.
Âgé de 60 ans, Ahmed Kathrada rencontre sa compagne Barbara Hogan, première femme sud-africaine accusée de « haute trahison » et condamné à dix ans de prison ferme, peu de temps après qu’elle a été libérée, en 1990.
À l’issue des élections générales de 1994, il devient député et conseillé de Nelson Mandela, postes qu’il quittera en 1999 avant de créer sa fondation. Ironie de l’histoire, il occupa à contre cœur pendant deux jours le poste de ministre des Services correctionnels, dans le premier cabinet de Nelson Mandela. Celui-ci fut finalement cédé au parti zoulou Inkatha Freedom Party, qui avait accepté de rejoindre le gouvernement et demandait à occuper l’un des quatre portefeuilles liés à la sécurité.
Son dernier fait d’arme
Devenu un simple membre de l’ANC, Ahmed Kathrada fit irruption l’année dernière dans l’actualité politique quand il adressa une lettre ouverte au président Jacob Zuma, embourbé dans une série de scandales, après que la Cour constitutionnelle avait rendu sa décision obligeant le chef de l’État à rembourser une partie des frais engendrés par la rénovation de sa propriété privée de Nkandla.
« Cher Camarade Président Zuma,
J’ai agonisé pendant un moment avant de vous écrire… »
Ainsi commence la lettre datée du 31 mars 2016, dans laquelle il lui pose la question : « Ne pensez-vous pas que votre maintien n’aura d’autre effet que d’aggraver la crise de confiance à l’égard des dirigeants du pays ? »
À la demande de sa famille, le président sud-africain Jacob Zuma n’assistera pas à ses funérailles qui ont lieu ce mercredi, à Johannesburg.
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