Mozambique : la fin du déminage… si loin, si proche

Vingt ans de guerre d’indépendance puis seize ans de guerre civile ont fait du Mozambique l’un des pays les plus minés de la planète. Alors que les élections générales se sont déroulées le 15 octobre, le déminage censé se finir à la fin de l’année est devenu un enjeu politique important. Mais, sur le terrain, Handicap International dénonce la pression mise par les autorités pour finir à temps, les derniers mètres carrés étant les plus complexes à traiter. Reportage.

Une démineuse mozambicaine, dans la région de Sofala, fin septembre 2014. © Adrien Barbier/J.A.

Une démineuse mozambicaine, dans la région de Sofala, fin septembre 2014. © Adrien Barbier/J.A.

Publié le 15 octobre 2014 Lecture : 4 minutes.

Doigté, précision, patience. Les démineuses et démineurs mozambicains à l’œuvre dans la province de Sofala (centre) exercent leur travail avec une méticulosité sans faille. Et avec courage. Car l’erreur est à coup sûr fatale : malgré un équipement de plusieurs kilos et une visière de sécurité, c’est tantôt un bras, tantôt une jambe, qu’il faudra amputer en cas d’accident.

"La peur, je m’y suis habituée au bout d’un mois de formation", explique Egnicia Ndeve, une démineuse de 24 ans. D’après elle, il suffit juste de suivre les procédures. Car l’organisation d’un camp de déminage a tout d’une structure paramilitaire. Le travail est excessivement réglementé, segmenté, voire répétitif. Le campement installé à proximité du champ de mines à traiter, l’équipe de démineurs alterne dix jours de travail avec six jours de repos. 30 minutes de travail avec 15 minutes de pause, du lever du jour au début de l’après midi. Ils ne connaissent pas les week-ends, les jours fériés, et laissent conjoints et enfants à l’autre bout du pays.

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D’après le tableau que le chef de camp, Manuel Hilario, actualise tous les jours, il resterait 93 000 mètres carrés à ausculter pour que cette zone-ci, le "secteur B" du district de Nhamatunda, soit dépolluée. Ici, les mines sont à chercher autour des tours qui supportent les lignes à haute tension alimentant Beira, la deuxième ville du pays. Le gouvernement les aurait installées lors de la guerre civile (1976-1992) pour parer les tentatives de sabotages fomentées par la Renamo (Résistance nationale mozambicaine).

2 millions de m2 à décontaminer

Au total, il resterait près de 2 millions de m2 à décontaminer d’ici la fin de l’année pour pouvoir proclamer le pays libéré des mines. Le Mozambique deviendrait ainsi le 29e pays à respecter les dispositions du traité d’Ottawa, dont il fut l’un des premiers signataires, en 1997.

D’abord initié par les Nations unies au lendemain de la guerre civile, le déminage du territoire est coordonné à l’échelle du pays par l’Institut national du déminage (IND), qui répartit les zones entre quatre ONG, voire a recours à des sociétés privées. "Nous travaillons sur la base d’ajustements constants, explique Alberto Augusto, le directeur de l’IND. Il assure que les délais seront respectés : "À ce jour, toutes les organisations ont rempli leur objectifs, mis à part les équipes d’Handicap International qui ont été retardées à cause de l’insécurité récente dans la province de Sofala."

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Démineur, un travail de précision sous une chaleur harassante.  © Adrien Barbier / J.A.

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Albertina Alberto, 23 ans, gratte maintenant la terre depuis vingt bonnes minutes. Après avoir ausculté puis débroussaillé son demi-mètre carré de terrain balisé par des piquets, son détecteur de métal s’est mis à émettre un signal prolongé. Point de mine ou d’objet explosif, mais un clou coupé en deux. "La terre est truffée de boulons et d’objets métalliques, commente Alan Johnson, le chef des opérations pour Handicap International . Mais on doit quand même tout vérifier et tout répertorier".

Autant dire que ce type de travail, alors que la chaleur en décuple la difficulté, ne peut être mené dans la précipitation. Dans le métier depuis 15 ans, Adérito Ismaël, le coordinateur du programme de déminage chez Handicap International , estime qu’il faudrait encore six mois pour terminer toutes les zones que l’organisation doit traiter. "Les zones les plus complexes et les plus difficiles d’accès ont été gardées pour la fin", explique t-il. De fait, il faut bien une heure pour venir à bout des vingt kilomètres de sable, de bosses et de virages qui relient le camp des démineurs à la route en bitume. "Nous avons dû ouvrir les chemins nous même, et nous devons utiliser des engins très lourds pour débroussailler et aplanir le terrain. Cela prend beaucoup plus de temps qu’ailleurs", détaille t-il.

Les autres vestiges de la guerre

Le coordinateur déplore la volonté de l’IND de finir à tout prix en décembre. "Nous avions demandé une rallonge de deux ans et demi ; ils nous ont accordé dix mois sans explications et sans prendre en compte la réalité du terrain", explique t-il. Des raisons politiques, comme la fin du mandat présidentiel et la nécessité d’inscrire le déminage au bilan du président actuel, Armando Guebuza, pourrait expliquer, selon lui, cet empressement des autorités.

Handicap International se préoccupe en outre des autres vestiges mortels de la guerre. À proximité du camp, l’équipe a ainsi découvert le cas de Zacaria Musalaladia, un paysan qui, comme beaucoup dans la région, vit de la production de charbon végétal. Deux ans auparavant, le jeune homme est tombé par hasard sur un objet métallique inconnu. Il l’a ramené chez lui puis a tenté de l’ouvrir avec un couteau. C’est alors que l’engin a explosé, lui faisant perdre plusieurs doigts.

Zacaria n’a pas eu affaire à une mine, mais plus probablement à une roquette, que l’on classe dans la catégorie des "objet non explosés" (UXO en anglais). En 16 ans de déminage, sur les 15 millions de m2 qu’Handicap International a traités au Mozambique, l’organisation aura trouvé autant de mines que d’UXO. Autant d’objets qui sont extrêmement dangereux, et dont certains proviennent même des récents affrontements entre le gouvernement et la Renamo.

La proclamation imminente de la fin du déminage serait donc un faux-semblant. "En fait, seules les mines antipersonnel rentrent dans le cadre des conventions d’Ottawa, souligne Adérito Ismaël. Pour les mines anti-tanks et les UXO, les autorités n’ont pas d’obligation". S’étant conformé au traité, le gouvernement pourrait en profiter pour lancer un signal d’encouragement vis à vis de l’extérieur à destination de potentiels investisseurs. Et ce, quand bien même la décontamination totale du territoire n’est pas certaine. "Dans chacune des provinces qui ont été déclarées déminées, des accidents ont eut lieu, et des zones potentiellement minées continuent à être reportées", ajoute le coordinateur.

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Adrien Barbier, à Beira

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