Asma Lamrabet : « Le Coran n’a jamais été discriminatoire à l’égard des femmes »

Celle qui s’est assigné la mission de déconstruire l’orthodoxie musulmane vient de sortir un livre choc sur les questions relatives aux femmes. Voile, héritage, tutelle masculine… Interview sur des sujets qui fâchent.

Asma Lamrabet est l’auteur du livre « Islam et femmes : les questions qui fâchent ». Ici en mai 2014 à Rabat. © Hassan Ouazzani pour JA

Asma Lamrabet est l’auteur du livre « Islam et femmes : les questions qui fâchent ». Ici en mai 2014 à Rabat. © Hassan Ouazzani pour JA

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Publié le 31 mars 2017 Lecture : 7 minutes.

En publiant son livre « Les femmes en islam : les questions qui fâchent » (Éditions En Toutes lettres, 2017), la médecin biologiste et essayiste marocaine Asma Lamrabet jette un pavé dans la marre. Elle y déconstruit les référentiels des penseurs conservateurs sur la femme en retournant contre eux leurs propres arguments. Son objectif : rendre justice à la femme et à un texte dont l’intention n’est pas de la stigmatiser. Interview.

Jeune Afrique : À lire votre livre, le Coran ne comporte aucun verset discriminatoire à l’égard des femmes, tout est question d’interprétation. Est-ce bien votre constat ?

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Asma Lamrabet : Je confirme mais je relativise. Il y a, en effet, cinq ou six versets qui peuvent prêter à confusion mais cela dépend de la lecture qu’on en fait. Pour être claire, le Coran n’a jamais été discriminatoire à l’égard des femmes. Quand on sort, par exemple, le verset sur l’héritage de son contexte, on va très vite en besogne en affirmant que les hommes sont supérieurs aux femmes. Ce n’est pas vrai.

On n’éduque pas à la responsabilité mais à la prédominance des hommes sur les femmes

Donc, hommes et femmes peuvent hériter à parts égales ? 

Ce que je veux dire, c’est que les interprétations du Coran ne sont pas immuables comme on veut nous le faire croire. On s’est focalisé sur ce verset coranique qui paraît figé, alors qu’il existe dans le Coran d’autres versets qui mettent en valeur l’égalité entre les deux sexes comme par exemple le recours au testament (Al wassiya). En islam, le testament est prioritaire par rapport à l’héritage. Il compense ce qui paraît être une injustice. Je vais même plus loin. Les hommes héritent d’une part supérieure aux femmes pour la simple raison qu’ils doivent les prendre en charge. Pas parce qu’ils sont supérieurs. Et si cette prise en charge n’est plus ? Et si la femme doit travailler pour nourrir sa famille ? Les théologiens ne nous répondent pas sur ces questions du moment. Leur argumentaire est donc très facilement démoli. Quand on apprend aux enfants à l’école que l’homme a une double part en héritage par rapport aux femmes, on ne leur dit pas qu’il a la responsabilité de les prendre en charge. On n’éduque pas à la responsabilité mais à la prédominance des hommes sur les femmes.

Que proposez-vous dans votre livre, alors ?

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Le propos de mon livre est de déconstruire l’orthodoxie musulmane qui ne fonctionne plus de nos jours, en utilisant sa propre logique. Certes, il est plus facile de la démonter selon une vision laïque fondée sur les droits de l’Homme, mais comme nous sommes dans des pays musulmans, il faut utiliser ce même référentiel pour prouver à ses détenteurs qu’il ne tient plus la route.

En lisant votre livre, on a l’impression que la femme peut hériter exactement comme l’homme, qu’elle n’est pas obligée de porter le voile, qu’elle peut épouser un non-musulman sans que ce dernier ne soit obligé de se convertir. Et qu’elle peut même devenir imam. Est-ce vrai, ou votre fibre féministe a-t-elle déteint sur vos écrits ?

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Ce n’est pas uniquement une question de féminisme. J’ai fait des constats et j’attends des réponses. Jusqu’à présent, les réponses que j’ai eues ne sont pas convaincantes. Pourquoi l’homme musulman a-t-il le droit de se marier avec une non-musulmane sans que cette dernière ne soit obligée de se convertir alors que cela est interdit pour les femmes ? Je ne prétends pas donner une réponse figée mais je questionne, j’interroge, j’ouvre le débat. Ce qui est essentiel, c’est que je refuse toute lecture discriminatoire.

Dans d’autres pays, votre lecture serait considérée comme un blasphème…

Elle l’est déjà. Les salafistes disent qu’elle est blasphématoire, occidentalisée. Mais sincèrement, je pense que le débat avance. Ces questions ne sont plus tabous. En tout cas au Maroc. Regardez comment le Conseil supérieur des oulémas a évolué sur la question de la liberté de conscience ! Avant, il l’assimilait à de l’apostasie. Aujourd’hui, il admet son existence.

Dès qu’on touche à la religion, on a peur de perdre son identité

Oui, mais il n’a pas assumé sa position publiquement…

Il l’a quand même dit (dans une publication interne, ndlr). Cela montre qu’il a évolué sur cette question qui, au passage, n’a rien à voir avec les textes de l’islam où tout être humain est libre de ses croyances religieuses.

Cela veut-il dire que les oulémas musulmans ne remplissent plus leur fonction « d’Ijtihad » (jurisprudence) ? Sont -ils devenus les simples gardiens d’un temple archaïque et obsolète ?

Oulémas, jeunes, moins jeunes… Dans toute la société marocaine, dès qu’on touche à la religion, on a peur de perdre son identité. Les choses n’évolueront pas si on continue d’apprendre à nos enfants à se braquer sur cette identité qu’on considère menacée. Les oulémas marocains ont avoué à demi-mot l’existence de la liberté de conscience mais ils n’auront jamais le courage, aujourd’hui en tout cas, de le dire solennellement.

Au nom de la religion, on a interdit la démocratie, la mixité… On a tout interdit.

Alors à quoi votre livre sert-il ?

Les jeunes se posent des questions. Ils veulent comprendre les limites entre les lecture traditionaliste et réformiste. On a besoin de gens qui se sentent bien dans leur peau, qui soient épanouis dans leur identité et leur référentiel, pour faire avancer les choses. Dans les pays arabes, la pensée unique nous a bloqués pendant des siècles. Au nom de la religion, on a interdit la démocratie, la mixité… On a tout interdit.

La religion ne doit pas être vécue comme un repli identitaire mais comme une spiritualité libératrice

Les gens ont-ils besoin d’un référentiel religieux pour s’épanouir ?

Oui, mais sous le prisme de la spiritualité, pas du dogme. Or, à travers le monde, le vide spirituel est inquiétant. Regardez l’avancée de l’extrémisme de droite et de tous ces mouvements qui prônent le repli identitaire. Ils se sont eux-mêmes transformés en un dogme qui ne dit pas son nom. Les gens ont besoin de donner un sens à leur vie. La religion ne doit pas être vécue comme un repli identitaire mais comme une spiritualité libératrice.

Votre livre est construit sur un schéma contradictoire dans lequel vous opposez interprétations conservatrices et réformistes. À la fin, on en sort avec l’idée qu’aucune interprétation n’est parfaite, que tout lecture reste personnelle et qu’on ne peut pas l’utiliser pour réguler la vie de millions de gens…

Exactement, toute lecture est humaine. Ce qui fait sens, ce sont les lois qui sont construites par les hommes et les femmes d’une société donnée dans un contexte donné. Le religieux ne donne qu’une éthique et des valeurs : justice, raison, égalité… Il n’édicte pas les lois. La diversité des avis religieux a toujours existé et n’a jamais empêché l’islam d’évoluer. Or, depuis cinquante ans, on veut nous faire croire le contraire.

Le pouvoir politique peut-il forcer une société traditionaliste à adopter une lecture réformiste de l’islam ?

Oui, mais ce n’est pas suffisant. Au Maroc, la loi sur la Moudawana, qui a changé le statut de la femme, peine à être appliquée parce qu’elle n’a pas été accompagnée de sensibilisation. L’éducation est essentielle. Les lois ne sont pas suffisantes. Au Maroc, l’autorité politique est moderniste mais elle négocie toujours avec les traditionalistes. Ce qui atténue la portée de ses réformes.

Je ne pense pas qu’un théologien qui a aujourd’hui plus de 65 ans soit capable de faire son auto-critique

Les traditionalistes ont-ils réellement un pouvoir dans la société marocaine ?

Évidemment. C’est ce que la sociologue marocaine Fatima Mernissi appelait « la peur de l’imam ». Dans la société, l’imam est représentatif de l’autorité religieuse. Pour légitimer n’importe quelle réforme, il faut passer par lui. Il faut que nos théologiens se réveillent. Leur discours est inaudible. Il est en contradiction avec l’évolution de la société marocaine.

Qui va les réveiller ?

Daesh est en train de les pousser à réagir. Malheureusement. Mais pour tout vous dire, je sens que ce sont les jeunes théologiens qui vont créer le changement. J’ai perdu espoir dans les anciens.

À ce point ?

Je ne pense pas qu’un théologien qui a aujourd’hui plus de 65 ans soit capable de faire son auto-critique. Même si, au fond, il en est convaincu, il ne le reconnaîtra jamais. C’est une question d’ego. Par contre, la jeune génération de théologiens qui monte se sent perdue. Elle se cherche, elle tâte, elle se pose des questions.

Oui, mais ses maîtres à penser sont les mêmes « vieux » en qui vous avez perdu espoir…

Elle réalise que tout ce qui est dit n’est pas forcément sacré. Le problème est qu’elle n’a pas de nouveaux outils de lecture. Ces jeunes théologiens ont suivi la même formation que les vieux. Mais aujourd’hui, cette formation les ébranle, les met mal à l’aise. Beaucoup d’entre eux me l’ont dit dans le cadre de nos échanges. Je pense que cette génération transmettra des questionnements. Celle qui viendra après sera celle du changement.

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Asma Lamrabet à son domicile de Rabat en décembre 2010. © Hassan Ouazzani pour J.A.

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