Dior n’est pas marocain
Déclinaison marocaine de L’Officiel, édité par le groupe parisien Jalou, spécialisé dans le luxe et la mode, L’Officiel Maroc a mis en scène dans son édition de mars ce qu’il présente sur sa page Facebook comme « le duo cultissime » formé par « deux génies créateurs » (rien de moins !) : les romanciers Leïla Slimani et Abdallah Taïa.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 14 avril 2017 Lecture : 2 minutes.
Dix pages d’interview croisée des deux écrivains franco-marocains installés à Paris, illustrées par une dizaine de photos où les deux auteurs posent en Dior, Repetto, Courrèges, Saint Laurent, De Fursac, Maison Kitsuné, etc. Même si cette revue élitiste destinée à la bourgeoisie haut de gamme des quartiers huppés de Souissi ou d’Anfa n’est accessible qu’à une infime partie des 33 millions de Marocains, le « coup » médiatique agace à Rabat.
Représentants d’un « Maroc des lumières »
Motif : la présentation récurrente en France d’écrivains ou de cinéastes culturellement « offshore » comme représentatifs d’un « Maroc des lumières » en lutte contre l’intolérance et l’obscurantisme d’un pseudo-« Maroc des ténèbres ». « Le talent de Slimani et de Taïa n’est pas en cause ; ils disent et écrivent ce qu’ils veulent.
Le problème, c’est l’exploitation politique du phénomène de mode et de l’engouement médiatique qui les entoure par des milieux qui nous sont hostiles », explique un proche du pouvoir, qui ajoute : « Le Maroc a des valeurs et des principes conservateurs respectables sans être fondamentalistes qui lui permettent d’avancer de façon résolue, mais surtout équilibrée, vers la modernité. »
En d’autres termes : comparer le Paris de Slimani et de Taïa à la Genève de Voltaire passe mal, surtout en ce moment, où le modèle politique et sociétal français n’est pas, c’est le moins que l’on puisse dire, le mieux indiqué.
Les excès avec lesquels ces auteurs sont célébrés à Paris ne font qu’ajouter au malaise.
Pour la plupart des Marocains – même s’ils ne sont qu’une petite minorité à les avoir lus –, beaucoup des thèmes abordés par Leïla Slimani et Abdallah Taïa sont a priori aussi tabous que choquants – à l’instar de la « performance » de l’actrice Loubna Abidar dans le film Much Loved, de Nabil Ayouch, qui fit scandale ici. « Du pain bénit pour les intégristes, soupire un journaliste local. À chaque provocation de ce type, les barbes rallongent de cinq centimètres. Et les excès avec lesquels ces auteurs sont célébrés à Paris ne font qu’ajouter au malaise. »
Le contexte, il est vrai, s’y prête. Dans une France en pleine crise identitaire, un auteur arabe pour qui l’islam est « la plus conne des religions », comme le vomissait Houellebecq, est assuré d’être invité sur tous les plateaux. Micros ouverts, donc, pour Hamed Abdel-Samad (Le Fascisme islamique) ou Waleed Al-Husseini (Une trahison française).
Pour être médiatiquement bankable en ce moment sur la rive gauche de la Seine, le bon Arabe se doit d’être laïque, islamophobe, de préférence libertin et si possible menacé (pour ce qui précède) dans son pays d’origine. Quitte, bien sûr, à en rajouter un peu…
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