Élections au Mozambique : une fin de campagne entre ferveur et suspicions
Quelque 11 millions de Mozambicains sont appelés aux urnes, mercredi, pour les élections présidentielle, législatives et provinciales. En dépit d’un retour spectaculaire d’Afonso Dhlakama (Résistance nationale mozambicaine, Renamo) et d’une progression indéniable de Daviz Simango (Mouvement démocratique du Mozambique, MDM), nombreux sont les observateurs à estimer que le scrutin, joué d’avance, sera à nouveau gagné par le Front de libération du Mozambique (Frelimo).
Filipe Nyusi au sud, Afonso Dhlakama au nord, Daviz Simango au centre… Pour clôturer la campagne électorale, les trois principaux candidats à la présidence du Mozambique se sont retrouvés dans leurs régions phares, dimanche 12 octobre. Dans la banlieue de Maputo, le premier a offert à ses militants, grâce aux moyens du Frelimo, un véritable festival tout en rouge et en paillettes, où les figures locales du show-business se sont succédées toute l’après midi. Sans faire preuve de la même débauche de moyens, les rassemblements de Dhlakama à Nampula pour la Renamo et de Daviz Simango à Beira (MDM), bien moins orchestrés mais tout autant fréquentés, ont été marqués par quelques débordements.
La campagne électorale se clôt dans une grande incertitude. L’opposition, dont les meetings sont très fréquentés partout dans le pays, réussira-t-elle à contraindre pour la première fois le Frelimo, au pouvoir depuis 39 ans, à un second tour ? Et de son côté, l’ancien parti unique, mené par un apparatchik peu connu du grand public, est-il prêt à céder la main le cas échéant ?
"Ces élections seront différentes des précédentes", assure Paulo Cuinica, le porte-parole de la Commission nationale électorale (CNE) mozambicaine. "L’enthousiasme des électeurs est palpable, les différents partis politiques montrent qu’ils sont prêts à accepter le résultat des urnes, et la législation a été améliorée", précise-t-il. De fait, le scrutin du 15 octobre intègre certaines modifications de la loi électorale qui touchent essentiellement à la composition de la CNE.
Vol de kits de bulletins de votes
Des avancées récemment obtenues par la Renamo et consignées dans l’accord de cessez-le-feu conclu en août dernier avec le parti rebelle, mettant fin aux actes de violence entretenus par ce dernier depuis 2012. "La présence de représentants des trois partis politiques dans chacun des bureaux de votes devrait minimiser les tentatives de fraudes", relève Anastacio Chembeze, le directeur de l’Observatoire électoral, une organisation qui déploiera 2 500 observateurs à travers le pays pour mener des comptages parallèles à ceux de la CNE.
"Il serait naïf de penser que ces modifications changeront quoi que ce soit", estime pour sa part l’analyste politique José Macuane. "Les problèmes entourant le transport de matériel électoral montrent bien à quel point le processus est fragile et vulnérable". Récemment, un camion transportant des kits de bulletins de votes imprimés en Afrique du Sud s’est fait cambrioler dans le centre du pays. En cause, la négligence des conducteurs, qui ont depuis été mis en examen.
Épinglé à chaque scrutin par les associations locales de défense des droits de l’homme, en dépit des satisfecit octroyés par les organismes internationaux, le Frelimo traîne derrière lui une réputation d’incorrigible fraudeur. De dépit, le journal d’opposition A Verdade s’est même résolu à boycotter la couverture du processus électoral. "C’est une perte de temps. À chaque élection, nous dévoilons les mêmes manipulations et les mêmes fraudes", explique Erik Charas, le directeur de la publication. "Aucune véritable mesure n’est prise pour empêcher que cela se reproduise".
Défiance vis à vis de l’informatique
"La plupart des fraudes se passent au niveau des bureaux de votes", explique Teles Ribeiro, chercheur au Centre pour l’intégrité publique (CIP), un organisme spécialisé dans la lutte contre la corruption et le suivi des élections. En plus du traditionnel bourrage d’urnes, les militants – et la police – empêchent parfois les personnes séduites par l’opposition d’aller voter : intimidation, emprisonnement, blocage de l’entrée du bureau de vote.
Des fraudes peuvent également se produire au moment du comptage des voix. Profitant d’un moment où les observateurs et les représentants des autres partis ont le dos tourné – quand ces derniers ne sont pas physiquement molestés -, les membres des bureaux de vote peuvent invalider certains bulletins en les raturant, ou modifier les comptes au moment de la transcription informatique des résultats.
"Pour ma part, je ne fais pas du tout confiance aux ordinateurs", confie Fernando Lima, du journal d’opposition Savana. Et pour cause : les entreprises qui fournissent le matériel électoral, comme les logiciels de comptage, appartiennent à certains membres du gouvernement, et plusieurs analystes soupçonnent un trucage anticipé de la répartition des voix.
Quant à la présence d’observateurs nationaux et étrangers, celle-ci n’aurait qu’un impact limité sur la transparence du scrutin. "Que peuvent faire 4 500 observateurs nationaux et 300 observateurs étrangers face à 17 000 bureaux de votes ?", admoneste Erik Charas. "Les fraudes n’ont pas lieu dans les grandes villes mais dans les coins perdus, ceux qui nécessitent neuf heures de voiture pour être atteints et où les observateurs ne vont pas".
Vers de nouvelles violences ?
Seul à pouvoir contrôler l’intégralité du processus électoral, le Frelimo apparaît donc, encore une fois, en position de force. "Le MDM et la Renamo n’ont pas la capacité d’envoyer dans tous les bureaux de votes des représentants qui soient bien au fait de la loi", ajoute Custodio Duma, avocat spécialisé dans les droits de l’homme. Reste la dernière incertitude, et non des moindres : en cas de nouvelle déroute, la Renamo s’en tiendra-t-elle aux accords de paix fraichement signés, ou déclenchera-t-elle un nouveau cycle de violences ?
"Le soudain regain de popularité de la Renamo cause beaucoup de tension et de nervosité parmi les militants des différents partis", commente Custodio Duma. Dimanche soir déjà, à Nampula, certains militants de la Renamo prenaient pour cibles des personnes arborant des tee-shirts Frelimo, l’Agence d’informations du Mozambique (AIM) dénombrant au moins quinze blessés.
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Adrien Barbier, à Maputo
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