Christian de Faria : « Airtel mise sur une gamme de services intelligents »
Cinq ans après son arrivée en Afrique et des débuts difficiles, l’opérateur télécoms indien veut se relancer via l’extension de son réseau et des offres innovantes.
Ralentir le rythme, Christian de Faria y a songé en 2013 lorsqu’il a quitté l’opérateur télécoms sud-africain MTN, où il siégeait au sein du comité exécutif en tant que directeur commercial. Mais le défi proposé par le milliardaire Sunil Mittal était trop tentant. À 62 ans, ce grand voyageur a alors accepté de poser ses valises à Nairobi, d’où il dirige depuis janvier 2014 les 17 opérations africaines d’Airtel en Afrique.
Sa mission : redonner du souffle à la croissance de l’opérateur indien en le débarrassant de son image low cost et, surtout, améliorer sa rentabilité. En septembre, le groupe, qui affiche 71,4 millions de clients sur le continent, accusait des pertes de 124 millions de dollars (97 millions d’euros) sur le dernier trimestre. Si les résultats tardent à se matérialiser, le dirigeant français, dont le réseau permet aussi à Airtel de renouer le dialogue avec MTN et Orange, a déjà largement transformé l’organisation de l’opérateur et se montre confiant.
Propos recueillis au Cap par Julien Clémençot
Jeune Afrique : Les résultats d’Airtel au troisième trimestre sont à nouveau décevants. Comment expliquez-vous vos difficultés sur le continent ?
Christian de Faria : Cette période est traditionnellement moins favorable et notre rentabilité a été affectée par des mesures réglementaires [au Nigeria, le plus gros marché d’Airtel, le régulateur interdit les promotions pour limiter la congestion des réseaux]. Mais comme le prouvent nos investissements, Airtel reste persuadé que le continent offre de nombreuses opportunités. Nous avons amélioré la capacité des réseaux, étendu leur couverture, changé des plateformes informatiques. Nous avons mobilisé environ 1 milliard de dollars, deux fois plus que ces dernières années. Pour nous, 2014 est une année charnière.
Quelle est votre stratégie pour améliorer vos performances ?
Le tarif n’est plus l’unique critère, il faut tenir compte des habitudes de consommation de nos clients. Pour les jeunes, par exemple, nous intégrons des services comme Facebook et Twitter dans nos offres.
Vous avez aussi complètement revu votre organisation…
Tout à fait. Auparavant, nos 17 filiales étaient regroupées au sein de deux divisions, francophone et anglophone. En mars, j’ai créé de nouveaux ensembles en fonction de la position qu’occupent les différentes filiales sur leur marché. L’idée sous-jacente est que les stratégies développées à l’intérieur de ces groupes sont relativement homogènes. En revanche, compte tenu de leur taille, la RD Congo et le Nigeria sont gérés indépendamment.
Airtel a-t-il commis une erreur d’appréciation en 2010 en misant sur la baisse du prix de la minute de communication ?
Je ne veux pas porter de jugement. À l’époque, cette stratégie avait fait ses preuves en Inde, où Airtel est numéro un. Mais le groupe a constaté que cette approche n’était pas adaptable à 100 % au continent. Depuis mon arrivée, je m’attache à africaniser le modèle pour accélérer la croissance du groupe. Il ne faut pas oublier qu’Airtel est déjà premier dans dix pays. Et sur les autres marchés, comme le Kenya et le Nigeria, nous devons être plus agressifs, plus proches des consommateurs, davantage présents sur le champ social et celui de l’innovation.
Quel pourcentage de vos revenus les échanges de données représentent-ils ?
Aujourd’hui, les données hors SMS représentent 10 % de nos revenus, un niveau proche de celui de nos concurrents. Sur l’année 2013-2014, le volume de données échangées a augmenté de plus de 90 %. Le nombre de nos clients utilisant leur mobile pour aller sur internet a grimpé de 50 % en un an [26,4 millions]. Jusqu’à cette année, faute de licence, nous ne proposions pas encore la 3G dans toutes nos filiales. C’est fait depuis deux mois au Tchad et ce sera le cas très prochainement au Niger. Nos 17 filiales sont désormais en position de capturer ce marché.
Le nombre d’utilisateurs d’Airtel Money a bondi de plus de 190 % en un an.
En Zambie et au Kenya, Airtel a noué un partenariat avec Facebook dans le cadre d’internet.org, qui donne un accès gratuit à celui-ci et à d’autres services web. Les réseaux sociaux sont-ils le moteur de la croissance des échanges de données ?
On ne peut pas ignorer l’attrait de Facebook sur le continent. Nous avons lancé cette offre en juillet en Zambie et 150 000 clients utilisent internet.org, c’est très encourageant. Mais d’autres services comme la musique en ligne rencontrent aussi du succès. La banque mobile est un autre domaine porteur… Le nombre d’utilisateurs d’Airtel Money a bondi de 191 % en un an, avec plus de 5 millions de personnes. Entre juillet et septembre, la plateforme a enregistré 140 millions de transactions et quelque 3,5 milliards de dollars ont été échangés.
>>>> Facebook souhaite ajouter l’Afrique à ses amis
Certains opérateurs comme Orange vendent des filiales faute de résultats. L’envisagez-vous ?
Non, au contraire, nous avons consolidé notre position en Ouganda et au Congo en acquérant les filiales de l’opérateur Warid. Et nous n’excluons pas de racheter de petites opérations dans les pays où nous sommes déjà présents.
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Les télécoms peuvent-elles encore être considérées comme des locomotives de l’économie en Afrique ?
Oui, mais dans certains pays, la taxation, directe et indirecte, est devenue un problème majeur. Elle dépasse 40 % des revenus. Les gouvernements ne se rendent pas compte du niveau des investissements nécessaires et privilégient des stratégies à court terme.
Malgré cette pression, certains acteurs tels que Safaricom au Kenya ou Sonatel au Sénégal dominent leur marché. Sont-ils protégés ?
Plus maintenant. Nous avons nous-mêmes été déclarés acteur dominant dans deux pays. Et on nous impose au contraire des restrictions sur les offres.
Quel visage aura Airtel dans cinq ans ?
Nous ne voulons plus seulement exploiter un réseau, mais apporter à nos clients une gamme de services intelligents. Nous faisons des efforts pour donner une dimension numérique à nos offres. Cependant, le chiffre d’affaires généré par la voix est toujours en augmentation. Ce n’est plus aussi spectaculaire qu’il y a dix ans, mais la pénétration du mobile reste encore faible dans certains pays et les zones rurales représentent encore un potentiel. Si on considère les possibilités de développement d’internet, de la banque mobile, je ne suis pas inquiet pour l’avenir.
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