Allemagne : Raed Saleh, tombeur de murs
Le maire de Berlin, Klaus Wowereit, quittera ses fonctions le 11 décembre. Candidat à sa succession, Raed Saleh, un Palestinien de 37 ans.
« J’avoue ! Quand j’ai vu la bouteille, j’ai cru que c’était encore de l’alcool ! » À la fin du débat auquel il participait, Raed Saleh s’amuse du quiproquo : les organisateurs ne lui offraient rien d’autre que du jus de raisin, à lui, le « social-démocrate au passeport allemand, d’origine arabe et de confession musulmane ». La touche d’humour déclenche une nouvelle salve d’applaudissements dans un public déjà séduit par les propos, quand un auditeur prend la parole : « Savez-vous ce que signifie raed en arabe ? « Celui qui dirige. » »
Cette précision, c’est pain bénit pour l’actuel chef du groupe social-démocrate au Sénat de Berlin, qui, à 37 ans, aspire à franchir une étape supplémentaire en devenant le prochain maire de la ville allemande, et donc le premier magistrat d’une capitale européenne tout à la fois issu de l’immigration, musulman et né en Palestine. Le symbole serait fort. Deviendra-t-il réalité ? Ce pouvoir est entre les mains des militants du Parti social-démocrate (SPD), majoritaires à la chambre berlinoise.
Klaus Wowereit, bourgmestre-gouverneur depuis treize ans, a en effet décidé de quitter ses fonctions en décembre, et, avant les municipales de 2016, de laisser aux militants du parti le soin de choisir son successeur. Raed Saleh, Michael Müller, sénateur chargé du développement et de l’environnement, et Jan Stöß, chef du SPD régional, concourent à cette élection interne. Raed Saleh s’est déclaré candidat le premier, déroulant sa campagne autour de ses thèmes fétiches : éducation, économie, intégration. Ces mots font écho à sa propre histoire.
Si certains l’assimilent à un self-made-man, lui préfère rappeler le rôle de l’école…
Il a 5 ans quand il quitte Sebastia, un village près de Naplouse. Son père, travailleur immigré en Allemagne, demande à sa famille de le rejoindre. Le premier mot qu’entend l’enfant à l’aéroport ? Verboten (« interdit »). « J’ai cru que ça voulait dire « salut ». Dans le quartier, je me baladais en lançant affectueusement « verboten » à tout le monde », raconte-t-il dans une langue de Goethe parfaite. En la matière, il affirme devoir beaucoup à une certaine Hannelore Wolf. « Cette enseignante m’a dit de rester après les cours pour apprendre l’allemand ; c’est elle, dit-il, qui m’a permis de suivre ma propre voie. » Pas étonnant, dès lors, qu’il répète dans tous les meetings : « La place des enfants est en crèche, pas devant la télévision ! »
Si certains l’assimilent à un self-made-man, lui préfère rappeler le rôle de l’école, et son parcours : « J’ai travaillé durement toute ma vie. Enfant, je distribuais des journaux. À partir de l’âge de 16 ans, j’ai préparé burgers et frites en cuisine chez Mitrovski Fast Food. » Jusqu’à devenir cadre dirigeant de cette société avant de fonder en 2005, avec des amis, sa propre entreprise, la société Mandaro, spécialisée dans l’impression de documents.
Son évolution se confondrait presque avec celle de la ville réunifiée, qui affiche un très fort dynamisme économique en abritant nombre de start-up, tandis que son passé le pousse à lutter contre les injustices croissantes dans une ville qui compte 10,8 % de chômeurs, essentiellement d’origine turque. « La ville grandit. Son développement est extraordinaire. Mais nombreux sont ceux qui n’ont plus les moyens de vivre à Berlin ou disent qu’ils n’ont aucune perspective. Cela ne peut pas me laisser indifférent », confie-t-il.
Abattre des murs
« Nous, les sociaux-démocrates, devons écrire des histoires d’ascension sociale. Il n’est pas possible que l’avenir des jeunes dépende de leur lieu de naissance », martèle-t-il. L’objectif de ce militant du SPD depuis 1995, parti dont il a ensuite gravi les échelons régulièrement, avant d’entrer, en 2006, à la chambre de la ville-région qu’est Berlin ? Développer le « vivre-ensemble », faire de la capitale « un exemple européen en matière d’intégration » tout en « fixant des règles claires » : respect de l’autre, des enseignants, de la police. Il mène par ailleurs depuis des années un dialogue des religions, ayant créé des tables rondes contre l’antisémitisme et le racisme ; il s’est rendu à plusieurs reprises à Auschwitz avec des jeunes de sa circonscription.
Père de deux enfants élevés dans les deux langues, allemand et arabe, Saleh veut abattre des murs comme il le fait en famille, dans ses associations, sa circonscription, son parti. S’il se rend régulièrement en Palestine pour les vacances, il n’en fait pas un thème de campagne ; mais s’il était élu, il serait prêt à organiser des rencontres entre jeunes allemands et jeunes israéliens. « En tant que social-démocrate, allemand, musulman, je ne peux tolérer que la question d’une religion soit thématisée pour en faire un problème », tranche-t-il.
« Qui veut gagner les élections doit être courageux. Y es-tu prêt ? » demande-t-il aux militants. Comme s’il fallait du courage et de la tolérance dans le choix du maire. En attendant le verdict le 18 octobre, un grand quotidien allemand a titré : « Il est prêt. »
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