Présidentielle au Mozambique : et si rien n’était joué d’avance pour le Frelimo ?

Le président Guebuza devra céder sa place à l’issue de l’élection du 15 octobre. Mais la bataille s’annonce serrée pour son dauphin, Filipe Nyusi, et pour le Frelimo, au pouvoir depuis 1975.

Guebuza est au pouvoir depuis 10 ans. © GEORGES GOBET / AFP

Guebuza est au pouvoir depuis 10 ans. © GEORGES GOBET / AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 15 octobre 2014 Lecture : 7 minutes.

Le candidat du Front de libération du Mozambique (Frelimo) peut-il être mis en ballottage ? C’est la question que se posent tous les Mozambicains à la veille des élections générales (présidentielle, législatives et régionales) du 15 octobre. Depuis l’indépendance en 1975, l’ex-parti marxiste de Samora Machel gouverne sans partage. À chaque présidentielle, le candidat du Frelimo (Joaquim Chissano en 1994 et 1999, Armando Guebuza en 2004 et 2009) est élu confortablement dès le premier tour. Ainsi, en octobre 2009, Guebuza a-t-il été reconduit à la tête du pays avec 75 % des suffrages face à l’éternel opposant Afonso Dhlakama, de la Résistance nationale mozambicaine (Renamo).

Mais cette année, les militants du Frelimo sont fébriles. Les 23 et 24 septembre, dans la province de Gaza, près de Maputo, ils ont attaqué le convoi de Daviz Simango, le candidat du Mouvement démocratique du Mozambique (MDM), la troisième force politique du pays. Et la police a laissé faire, au grand dam des organisations de défense des droits de l’homme.

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>> Lire l’interview de Daviz Simango : "Le MDM est prêt à 100% pour gouverner le Mozambique"

Après trente-neuf ans de pouvoir, le Frelimo n’a pas à rougir de son bilan, d’autant que, de 1977 à 1992, il a dû affronter la guérilla de la Renamo. Le taux de croissance tourne autour de 7 % par an. Grâce aux capitaux sud-africains, Maputo, l’ancienne cité alanguie aux rues bordées d’acacias, se couvre de buildings. À la suite de la découverte d’énormes gisements offshore (lire encadré), le pays peut prétendre au quatrième rang mondial de la production gazière (derrière la Russie, l’Iran et le Qatar).

Corruption étatique

Le problème, c’est la corruption. En novembre 2000, le journaliste d’investigation Carlos Cardoso a été assassiné en pleine rue à Maputo et, depuis, la presse n’enquête plus sur les affaires de détournement de biens publics. Du coup, l’opposition s’en donne à coeur joie. Dans ses meetings, Afonso Dhlakama, 61 ans, harangue les foules avec des formules chocs du type : "Si vous n’êtes plus soignés à l’hôpital, c’est parce que le Frelimo fait campagne avec l’argent de vos médicaments." Daviz Simango, 50 ans, essaie, lui, de mettre les rieurs de son côté. "Aujourd’hui, si vous allez à l’hôpital public, quelle que soit votre maladie, on va vous prescrire du paracétamol, lance-t-il. D’ailleurs, les enfants du régime se font tous soigner dans les cliniques privées ou à l’étranger."

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Le candidat du Frelimo, Filipe Nyusi, lors d’un meeting de fin de la campagne, dimanche 12 octobre, dans la banlieue de Maputo. © AFP

Au Mozambique, la Constitution interdit à un président de faire plus de deux mandats. C’est tant pis pour Guebuza, mais c’est peut-être tant mieux pour le Frelimo. Ainsi le parti au pouvoir peut-il propulser un homme neuf pour contrer la campagne habile de l’opposition et tenter d’échapper à l’usure du pouvoir. Cet homme, c’est Filipe Nyusi, 55 ans, un ingénieur formé en Europe qui a longtemps travaillé à la tête de la compagnie nationale des chemins de fer. L’homme est jovial. Il aime le football et l’ambiance troisième mi-temps. C’est sous sa direction qu’en 2004, pour la première fois de son histoire, le club de Nampula a gagné le championnat du Mozambique. Autant dire que le candidat Nyusi n’a pas trop de soucis à se faire à Nampula, la grande ville du Nord. L’homme est aussi connu pour ses qualités de gestionnaire.

En 2007 Guebuza a limogé le ministre de la Défense et a nommé à sa place Filipe Nyusi, qui a aussitôt remis de l’ordre dans l’armée.

Le 22 mars 2007, 107 personnes sont mortes dans l’explosion d’un dépôt de munitions à Malhazine, près de l’aéroport de Maputo. Un an plus tard, quand une commission d’enquête a conclu à un accident provoqué par "de graves négligences", Guebuza a limogé le ministre de la Défense et a nommé à sa place Filipe Nyusi, qui a aussitôt remis de l’ordre dans l’armée. Bref, le candidat du Frelimo ne manque pas de qualités.

Le soutien de Guebuza et un scénatio à la Poutine ?

Mais comment se positionner par rapport au président sortant ? C’est toute la difficulté pour Filipe Nyusi. En mars, lorsque le Frelimo a dû choisir son champion pour cette présidentielle, Nyusi s’est présenté comme le candidat de la continuité face à Luisa Diogo, la candidate de la rupture. S’il a gagné cette bataille interne, c’est grâce au soutien de Guebuza. Et comme ce dernier va conserver la présidence du Frelimo, les mauvaises langues, y compris au sein du parti au pouvoir, n’hésitent pas à pronostiquer un scénario Poutine-Medvedev – un seul mandat pour Nyusi, puis le retour de Guebuza. Nyusi n’est-il que le sous-marin de Guebuza ? Le candidat du Frelimo sent bien que cette image peut lui coûter cher. Pour se démarquer, il promet quelques changements.

Au Mozambique, l’industrie de l’enlèvement bat son plein. Un certain nombre d’enfants de la bourgeoisie sont kidnappés, puis libérés contre rançon. Or juges et policiers ne font pas grand-chose et l’opinion est persuadée que la mafia s’est infiltrée dans l’appareil d’État. "Depuis que je fais campagne, j’entends beaucoup d’entre vous qui se plaignent du fait que la justice protège les criminels et harcèle les innocents, reconnaît Nyusi en meeting. Si je suis élu, je lutterai contre le crime avec la plus extrême rigueur." Si le Frelimo donne des signes de fébrilité et bat le rappel des abstentionnistes, c’est aussi parce que l’opposition a mangé des vitamines.

En 2013, l’inusable Afonso Dhlakama a tenté un coup de poker et… l’a réussi.

Malgré quatre échecs, l’inusable Afonso Dhlakama veut croire que la cinquième tentative sera la bonne. Il faut dire qu’il a tenté un coup de poker et… l’a réussi. L’an dernier, l’ex-guérillero antimarxiste a repris le maquis dans la Serra da Gorongosa. Ses 400 partisans armés ont tendu des embuscades sur la grande route Nord-Sud et obligé le pouvoir à négocier. Le 5 septembre, un accord a été trouvé. Les ex-rebelles seront intégrés dans l’armée ou encouragés à revenir dans le civil. Surtout, la commission électorale sera partagée entre des représentants du pouvoir et de l’opposition. A priori, la fraude sera donc plus difficile. Et au vu des dizaines de milliers de gens qui affluent à ses meetings, Dhlakama a des raisons d’espérer.

>> Lire : Le retour surprise d’Afonso Dhlakama

Autre mauvaise nouvelle pour le Frelimo, la montée en puissance de Daviz Simango. En 2003, cet ingénieur intrépide a été élu maire de Beira sous les couleurs de la Renamo. En 2009, il est devenu tellement populaire dans la grande métropole du centre du pays que Dhlakama, inquiet pour son poste, lui a refusé l’investiture de la Renamo pour un second mandat. Du coup, Simango a créé son propre parti, le MDM, s’est fait réélire sans coup férir à la mairie de Beira et a obtenu – officiellement – 8 % à la présidentielle.

Aujourd’hui, son discours porte dans tout le pays. Plus jeune que ses adversaires, il se présente comme le candidat d’un parti "qui n’a pas de tradition belliciste" et comme le champion de la lutte anticorruption. Au moment où l’État négocie des concessions pour l’exploration et l’exploitation du gaz off­shore, Simango prévient : "Un pays ne peut pas se développer avec des monopoles. Ils génèrent la corruption et des conflits d’intérêts."

Scénario à risques

Qui occupera Ponta Vermelha – le palais présidentiel de Maputo – à l’issue de ce scrutin ? Si l’on s’en tient aux élections précédentes, ce sera Filipe Nyusi. Mais s’il est mis en ballottage, une alliance de second tour entre Dhlakama et Simango est possible. Et à ce moment-là, tout peut arriver. Pour éviter ce scénario à risques, le Frelimo demande à toutes ses vieilles gloires de remonter sur scène. Marcelino dos Santos, le poète vétéran de la lutte pour l’indépendance, fait campagne aux côtés de Nyusi.

>> Lire aussi : Fin de campagne entre ferveur et suspicions au Mozambique

Quant à Guebuza, il met en garde tous ceux qui croient que l’élection est déjà pliée et qui sont tentés de s’abstenir. "Un vote, c’est comme un match de foot. L’équipe qui gagne, c’est celle qui est la mieux entraînée et qui, le jour du match, va vraiment sur le terrain pour marquer des buts." Réflexion d’un vieux commerçant de Maputo : "Pourvu que l’élection soit aussi pacifique qu’un match de foot."

Du gaz dans l’eau

C’est en 2012 que l’eldorado a été découvert. Au large de la côte nord du pays, les compagnies Anadarko (États-Unis) et ENI (Italie) ont repéré un immense bassin de plusieurs milliards de mètres cubes de gaz – de quoi répondre à la consommation de gaz de toute l’Europe de l’Ouest pendant… dix-huit ans. Selon Nelson Ocuane, le patron d’ENH, la compagnie nationale des hydrocarbures, la production et l’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) pourra démarrer dès 2018 – le temps de construire des usines de liquéfaction, une base logistique géante et un nouveau port à Pemba. Plus prudent, le FMI situe autour de 2022 la date à partir de laquelle le Mozambique pourra tirer des "recettes substantielles" du GNL.

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