Afrique du Sud : « Jacob Zuma se battra comme un lion pour éviter la destitution »

Les défections s’enchaînent dans l’entourage de Jacob Zuma depuis qu’il a limogé le ministre des Finances, Pravin Gordhan. Alors qu’il lui reste quelques mois à la tête de l’ANC, le parti au pouvoir, le Président sud-africain est de plus en plus isolé. Le parlement doit débattre le 18 avril d’une énième motion de défiance déposée à son encontre.

Jacob Zuma perd de plus en plus de crédit auprès des militants de l’ANC, le parti au pouvoir. Photo prise le 6 août 2016. © Herman Verwey/AP/SIPA

Jacob Zuma perd de plus en plus de crédit auprès des militants de l’ANC, le parti au pouvoir. Photo prise le 6 août 2016. © Herman Verwey/AP/SIPA

Publié le 5 avril 2017 Lecture : 4 minutes.

« Les mois à venir vont être extrêmement tendus. À mon avis, la position de Jacob Zuma n’est plus tenable. » Auteure d’une thèse sur les réseaux de l’ANC, la chercheuse française Marianne Séverin observe d’un œil attentif  les secousses qui agitent actuellement l’ANC, et plus particulièrement Jacob Zuma.

« Le chef de l’État s’accroche obstinément aux rênes du pouvoir tout en sachant la défiance qu’il suscite et qui croît au fil des semaines », déplore-t-elle. Ce mercredi 5 avril, le principal parti d’opposition a encore déposé à son encontre une motion de défiance, qui sera discutée au Parlement le 18 avril.

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La goutte d’eau

L’épicentre de ces tensions remonte à il y a plusieurs jours maintenant. Le 30 mars, Jacob Zuma opérait un remaniement ministériel, et débarquait une dizaine de ministres. Parmi eux, le respecté ministre des Finances, Pravin Gordhan, avec qui il était en conflit ouvert depuis des mois.

« En vérité, leur différend date depuis près d’une décennie. Parvin Gordhan lui mettait constamment des bâtons dans les roues. Il posait son veto à chaque dossier louche que le président lui remettait. Il était un peu le garde-fou de ses magouilles. Et Zuma ne l’a plus supporté. Il a d’ailleurs profité de ce remaniement pour faire le ménage au sein du gouvernement », analyse Marianne Séverin.

Quelques heures après le coup de balai de Jacob Zuma, le vice-président et membre de l’ANC Cyril Ramaphosa se présente face à la presse, indigné. « J’ai dit au Président que je n’étais pas d’accord avec lui », assure t-il. « Un certain nombre d’autres collègues et de camarades ne sont pas satisfaits de cette situation, particulièrement du renvoi du ministre des Finances qui servait le pays avec honneur et excellence. »

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D’autres membres de la direction du parti comme le secrétaire général, Gwede Mantashe, lui ont emboîté le pas. « Le Président est venu avec une liste. Il a dit ‘Vous pouvez commenter si vous voulez mais c’est ma décision’ « , avait-il rapporté au lendemain du remaniement. « Ce procédé m’a rendu nerveux et mal à l’aise ».

Une repentance récente

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Cependant ce mercredi 5 avril, rebondissement. Quelques-uns des « frondeurs » ont tenu publiquement à rectifier leur prise de position véhémente à l’annonce du remaniement.

« Les différents points de vue doivent toujours être écoutés, quelle que soit leur provenance », a déclaré sobrement Gwede Mantashe lors d’une conférence de presse à Johannesburg. Et pour justifier son changement de cap, il évoque « le besoin d’unité du parti et de ses alliés, dans l’intérêt de l’Afrique du Sud ».

Une repentance bien tardive pour Marianne Séverin. « C’était hautement prévisible, ajoute t-elle. Des élections au sein du parti se profilent en décembre prochain. Rappelez-vous que l’ANC a essuyé de cinglantes défaites lors des municipales en 2016. L’opposition gagne du terrain, alors que l’ANC n’a jamais été aussi divisé. Jacob Zuma n’avait pas d’autres choix que d’ordonner à ses supplétifs en coulisses de nuancer leurs sorties médiatiques. »

Le rand en chute libre

Mais Jacob Zuma n’a pas fait uniquement grincer des dents au sein de son parti. Mardi 4 avril, c’est la puissante confédération des syndicats du pays (la Cosatu) et partenaire clé de l’ANC, qui est montée au créneau. « Le moment est venu pour lui de démissionner. Nous ne croyons plus en ses capacités de leadership », a ainsi lancé le secrétaire général de la Cosatu, Bheki Ntshalintshali  en direction du président Zuma.

Une défection de taille, juge Marianne Séverin. « C’est une organisation très influente et précieuse politiquement », selon elle. « Au fil des mois, force est de constater que la liste des soutiens de Zuma, y compris parmi ceux qui étaient perçus comme les plus fidèles, s’amenuise inexorablement ».

Si le secrétaire général de la Cosatu a choisi de tourner le dos à Zuma, c’est pour une raison bien pragmatique, décrypte la chercheuse : l’annonce du remaniement gouvernemental et le limogeage en particulier de Parvin Gordhan a provoqué une chute du rand.

Le Président a été négligent et imprudent.

Pis, lundi 3 avril, l’agence de notation Standard and Poor’s a abaissé la note de l’Afrique du Sud à BB+, dans la catégorie spéculative. « Les changements initiés par le président Zuma au sein de l’exécutif, ouvrant potentiellement la voie à une incertitude politique et institutionnelle, font peser des risques sur les perspectives de croissance et de stabilité budgétaire », a justifié l’agence dans un communiqué.

« Le Président a été négligent et imprudent », tonne de son côté le patron de la Cosatu, ajoutant que cette dégradation allait « coûter très cher » au pays. « Cela montre que nous devons raviver les moteurs de la croissance de notre nation », a-t-il poursuivi.

« Il n’a plus rien à perdre »

En remplacement de la dizaine de ministres limogés, Jacob Zuma a nommé dix ministres et autant de vice-ministres, pour la plupart considérés comme ses proches, à l’image du nouveau titulaire du portefeuille des Finances, Malusi Gigaba. Contrairement à beaucoup de ses homologues, celui-ci n’a pas de formation universitaire en économie et finances, et ne jouit pas d’une véritable légitimité pour occuper ce tout nouveau poste.

Il se battra comme un lion pour éviter la destitution.

« Tout ceci s’inscrit dans une seule logique : celle qui consiste pour Zuma à s’entourer de quelques-uns de ses soutiens pour les mois qui lui restent à la tête de l’ANC. Il le sait, à force de clientélisme permanent, son image personnelle est aujourd’hui désastreuse. Son nom est directement associé à la corruption. Il n’a plus rien à perdre et se battra comme un lion pour éviter la destitution. »

Enfin, pour la politologue, il ne serait guère étonnant que certains poids lourds du gouvernement actuel lui plantent prochainement un couteau dans le dos à des fins politiques. Comme par exemple Cyril Ramaphosa, qui entend briguer en décembre la présidence de l’ANC, très probablement face à Nkosazana Dlamini-Zuma, ex-épouse de Zuma.

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