Témoignage – RDC : Moi, Mustafa Habakwiha, victime de preneurs d’otages dans le parc des Virunga
Les enlèvements de civils se sont multipliées ces dernières années dans le Nord-Kivu (est de la RDC). Un « vrai business du kidnapping » que dénonce Mustapha Habakwiha : cet homme d’affaires de Rutshuru a vécu l’enfer d’une prise d’otages avec demande de rançon, dans le parc des Virunga, en mars 2015. Il raconte son expérience.
« Je me présente : El Hadj Mustafa Habakwiha. J’ai 55 ans et je suis dans les affaires depuis plusieurs années, dans le Nord-Kivu. Mais à cause de l’insécurité persistante dans la région, j’ai dû abandonner totalement mes activités agricoles. Mes étangs piscicoles tournent au ralenti, certains sont carrément fermés.
Ici, nous risquons désormais nos vies tous les jours. Tout peut arriver à n’importe quel moment. Et la situation ne fait que s’empirer. Tenez, un jour de mars 2015, je me rendais à l’un de mes étangs lorsque deux hommes armés et cagoulés ont surgi. J’étais sur mon tracteur. « Si tu essaies de t’en fuir, on tire ! » m’a lancé l’un d’eux. Je me suis alors rendu et ils m’ont emmené, yeux bandés, dans le parc national des Virunga.
À part la rançon, il n’y avait d’autre solution que la mort, me répétaient-ils
Là-bas, je dormais sur des pierres, je buvais de l’eau impropre de la rivière. Ils ne m’ont pas torturé physiquement, mais ils multipliaient les intimidations pour me forcer à coopérer, à accepter d’appeler ma femme pour lui faire payer la rançon. Sinon, il n’y avait d’autre solution que la mort, me répétaient-ils.
C’était la saison des pluies : dormir dehors dans ces conditions était un véritable calvaire. Après quelques réticences, j’ai dû accepter de « coopérer ». Ils m’ont aussitôt remis mon portable pour joindre ma femme. Mais ils avaient placé la barre très haut, en exigeant 50 000 dollars (environ 47 000 euros). Du coup, je ne savais pas quoi dire à ma pauvre épouse parce que je savais pertinemment que nous n’avions pas une telle somme à la maison.
Cela n’a pas arrangé mon sort. Mes bourreaux sont devenus plus agressifs, me proférant des menaces de mort à répétition. Me privant de la nourriture et de l’eau pendant deux jours. Ils m’ont même fait croire que quelqu’un les avait déjà payés pour m’éliminer. J’étais confus. Paniqué. Puis, ils m’ont annoncé qu’ils baissaient la rançon à 20 000 dollars et enfin à 5 000. J’ai alors donné mon accord. J’ai rappelé ma femme pour lui faire part de la situation.
C’est un réseau bien organisé qui s’adonne à ce business du kidnapping
Mais comment leur remettre cet argent ? Comme des vrais professionnels de prise d’otages, ils ont rapidement pris les choses en main. C’est en fait tout un réseau bien organisé qui s’adonne à ce business du kidnapping. Je pense même qu’ils avaient tout planifié depuis le début. C’est avec eux et seulement avec eux que les derniers réglages devaient se faire. Ma femme a remis les 5 000 dollars à un « porteur » qui devait suivre scrupuleusement les consignes de ces brigands. Ceux-ci lui indiquent d’abord de faux itinéraires afin de vérifier, grâce à leurs complices et éclaireurs dépêchés le long du trajet, si ce n’est pas un appât. Ce n’est que lorsqu’ils sont rassurés qu’ils donnent le bon point de rencontre. Et perçoivent la rançon. L’information remonte ensuite vers ceux qui me surveillent. Et, dans la foulée, je suis relâché au détour d’un petit sentier qui mène vers la route principale, la nationale numéro 2.
J’ai passé trois jours avec ces preneurs d’otages. Chaque fois qu’ils s’adressaient à moi, ils voulaient se faire passer pour des FDLR (rebelles rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda, NDLR). Mais, je reste convaincu que c’étaient des jeunes du terroir. Ils me connaissaient parfaitement. Il arrivait même qu’ils reçoivent de la visite dans leur cachette : on leur apportait de la nourriture ! Ce qui prouve, à mes yeux, qu’ils avaient aussi des complices dans la ville pour assurer leurs arrières et continuer à faire prospérer leur « business ».
Dommage que lorsque ce genre de criminels sont dénoncés, et arrêtés par la police, on les recroise quelques jours ou mois plus tard dans la ville. Comment voulez-vous que les gens qui ont tué, torturé et appris à gagner facilement de l’argent par le kidnapping ne récidivent pas une fois qu’ils sont à nouveau libres et sans perspective d’avenir ?
Le climat sécuritaire ici est tellement volatile que nous avons peur de vaquer normalement à nos occupations. Il faut en permanence rester vigilant et prudent. Je ne me visite désormais mes étangs encore en activité que vers 9 heures du matin et je retourne rapidement chez moi aux alentours de 14 heures. Car c’est devenu très dangereux de sortir de chez soi tôt le matin ou de quitter son lieu de travail tard le soir. »
*Les propos ont été recueillis en swahili, une des langues parlées dans le Nord-Kivu.
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