70 jours au Soudan : le récit glaçant d’un journaliste britannique emprisonné et torturé dans le Darfour

Enchaîné en plein soleil, frappé, électrocuté : dans un rare témoignage publié par le journal britannique The Guardian, le journaliste Phil Cox revient sur son enlèvement au Soudan et son incarcération à la prison de Kobar. En décembre dernier, lui et son interprète Daoud Hari avaient été arrêtés alors qu’ils entamaient une enquête sur de présumées attaques à l’arme chimique dans le Darfour. Libérés en février dernier, les conditions de leur détention n’avaient pas été détaillées jusqu’alors.

Près de Tabit, un village du Nord du Darfour, en 2014. © Abd Raouf/AP/SIPA

Près de Tabit, un village du Nord du Darfour, en 2014. © Abd Raouf/AP/SIPA

Publié le 7 avril 2017 Lecture : 5 minutes.

Les forces de sécurité soudanaises ont-elles fait usage d’armes chimiques contre des civils ? C’est pour enquêter sur cette hypothèse, avancée par Amnesty International, que Phil Cox, un journaliste travaillant pour la chaîne britannique Channel 4, et son collaborateur Daoud Hari ont pris la route, en décembre dernier, du Darfour. Une région inaccessible aux journalistes depuis plusieurs années.

Mais pendant leur séjour, les forces de sécurité soudanaises les empêchent de mener à bien leur enquête et ils sont arrêtés, puis incarcérés. Dans un récit cauchemardesque, publié le mercredi 5 avril sur le site du Guardian, Phil Cox revient sur son enlèvement, assurant que Daoud Hari et lui-même ont subi de nombreux actes de torture, notamment pendant lors de leur passage à la prison de Kobar, à Karthoum.

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Arrêtés par une unité de l’armée soudanaise

Après être entrés au Tchad voisin en novembre 2016, les deux hommes traversent illégalement la frontière soudanaise et prennent la route de la région du Darfour en voiture, bénéficiant notamment de l’appui de l’Armée de Libération soudanaise (SLA) et d’un mystérieux agent double, surnommé « Grey Wolf ». Selon Phil Cox, ce dernier leur apprend qu’ils sont activement recherchés par les forces de sécurité soudanaises et que leurs têtes ont été mises à prix.

Malgré tout, le 22 décembre, après avoir contacté leurs intermédiaires dans les montagnes de Djebel Marra, où auraient eu lieu selon Amnesty International des attaques à l’arme chimique, les deux journalistes décident de poursuivre leur voyage. Le soir même, ils sont arrêtés par des membres des Forces d’appui rapide, une unité de l’armée soudanaise accusée de très graves violations des droits humains.

Des actes de torture par électrocutions 

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Phil Cox raconte alors avoir été emmené en voiture, mains liées et yeux bandés, vers une destination inconnue. Placé à l’arrière du véhicule, Daoud Hari avait déjà été sévèrement frappé. D’après le témoignage du journaliste britannique, ils se retrouvent ensuite enchaînés en plein désert, sans pouvoir contacter leur équipe à Londres ou leur famille. « On a supplié nos ravisseurs de nous placer à l’ombre, ils nous ont ignorés » se rappelle Phil Cox, qui confie avoir développé à ce moment-là une forte fièvre l’empêchant d’avaler quoique ce soit.

Une semaine plus tard, ils seront finalement remis à d’autres forces armées gouvernementales, puis conduits à la prison de Kobar, à Kartoum. Cette période d’incarcération, qui durera plus de six semaines, semble être la plus traumatisante pour le journaliste qui, séparé de son ami et collaborateur, est frappé et électrocuté à plusieurs reprises.

Personne ne risquerait sa vie pour si peu d’argent

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Son bourreau, qu’il surnomme « Terror Man » est persuadé qu’il est un espion, travaillant pour le gouvernement britannique, américain ou encore Amnesty International : « Ils ne voulaient pas accepter l’idée que j’étais payé en tant que journaliste indépendant pour cette mission : ‘Personne ne risquerait sa vie pour si peu d’argent’ se moquaient-ils ». « Le plus grand combat dans ces interrogatoires n’était pas de résister à la tentation de mentir, c’était quand la vérité n’était pas acceptée. Je devais continuellement raconter à nouveau mon histoire, sans rien y changer » poursuit le journaliste.

Dans l’aile de la prison où il a été placé, Phil Cox a croisé des professeurs, des avocats, des hommes politiques ou encore de jeunes footballeurs considérés comme une menace parce qu’ils avaient pu mobiliser des centaines de jeunes via WhatsApp pour créer une équipe de foot. Pendant son incarcération, il pourra compter sur leur solidarité et notamment celle de Karim, son compagnon de « cage », qui lui offrira sa brosse à dent à son arrivée. Karim, qui a écopé de huit ans de prison « sans aucune charge », « m’a montré où se cachaient les choses ici et ce que je pouvais espérer de chacun des gardes, les surnommant ‘le bon’, le ‘mauvais’ ou le ‘fou’ » se souvient-il.

Si aucune arme chimique n’a été utilisée, alors pourquoi ne pas laisser les journalistes faire leur travail ?

Remis à l’ambassade du Royaume-Uni au Soudan début février 2016, le journaliste verra son calvaire prendre fin. Son interprète, libéré une semaine plus tôt, avait déjà pu rejoindre les États-Unis, où il bénéficie d’un statut de réfugié. Lors de la libération de Phil Cox, les autorités soudanaises et l’ambassade de Grande-Bretagne ne donneront que très peu de détails sur cet enlèvement, expliquant simplement que celui-ci était détenu pour « entrée illégale » dans le pays. Mais la publication de ce récit glaçant dépeignant les cruelles méthodes des forces de sécurité soudanaises relance le débat. « Si aucune arme chimique n’a été utilisée, alors pourquoi ne pas laisser les journalistes faire leur travail ? » s’interroge Amnesty International dans un communiqué daté du 5 avril.

L’organisation, qui estime que de nombreux « militants de l’opposition, d’étudiants et de défenseurs des droits humains » sont arrêtés arbitrairement, torturés et soumis à des disparitions forcées par des agents du Service national de la sûreté et du renseignement (NISS) » au Soudan, rappelle la nécessité de mener une enquête indépendante sur les attaques chimiques présumées du Djebel Marra. Selon les chiffres avancés par Amnesty International, celles-ci auraient tué entre 200 et 250 personnes, dont de très jeunes enfants, de janvier à août 2016.

Une zone « pacifiée » ?

La région du Darfour est secouée par des affrontements depuis 2003, année durant laquelle des insurgés issus de minorités ethniques ont pris les armes contre le pouvoir de Khartoum – qui est aux mains de la majorité arabe. Un conflit sanglant qui a déjà fait près de 300 000 morts et entraîné le déplacement de 2,5 millions de personnes. Depuis dix ans, une mission de maintien de la paix au Darfour (Minuad) est déployée dans la zone, avec quelques 20 000 soldats et policiers provenant de plus de 30 pays.

Mais, mercredi 5 avril, les États-Unis ont annoncé qu’ils soutiendraient un retrait de la mission de l’ONU au Darfour si le Soudan montre qu’il est capable de protéger ses habitants dans cette région de l’ouest du pays. Cela fait des mois que Khartoum accentue la pression pour que les soldats du Minuad se retirent du Darfour, assurant que la zone est désormais pacifiée.

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