Lettre à un chrétien d’Orient

Fawzia Zouria

Publié le 10 octobre 2014 Lecture : 3 minutes.

J’ai vu ce que les sanguinaires de Daesh et leur calife de pacotille vous ont fait subir. J’ai vu les têtes tranchées de vos fils et les corps criblés de balles de vos bébés. J’ai vu vos femmes vendues comme du bétail sur des marchés d’esclaves. J’ai vu vos veuves et vos enfants sur les routes de l’exil. J’ai vu vos vieux spoliés et humiliés, errant plus morts que vivants.

Et je me suis demandé : pourquoi ? Au nom de quelle cause vous inflige-t-on de tels traitements ? Parce que vous n’êtes pas musulmans, c’est cela ? Et alors ? Vous êtes les enfants de l’Orient depuis des millénaires. Vous êtes ce qu’il y a de plus ancien et de plus authentique sur cette terre d’où l’on vous chasse. Vous êtes une partie intégrante du Machrek, de son histoire et de sa culture.

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Vous avez été le fer de lance de son savoir, de sa pensée philosophique, de ses désirs de réforme, comme cette fameuse Nahdha ("renaissance") arabe qui vous doit beaucoup. Sans compter toutes vos belles plumes, les Khalil Gibran, les Mikhaïl Naimy ou les Georgy Zaïdane qui ont permis à nos têtes brunes du Caire, de Tunis ou d’Alger d’apprendre la langue du Coran dans sa version moderne.

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Je ne me contenterai pas de dire à vos bourreaux qu’ils se trompent d’ennemis, ni qu’ils profanent la terre des ancêtres. Je leur dirai qu’ils surpassent l’horreur qu’ils fustigent chez certains de leurs adversaires désignés du nom méprisant de "croisés". En écrivant la lettre noun, ce qui signifie "Nazaréen", sur vos maisons et vos biens pour vous stigmatiser, ils rappellent les pires atrocités de l’histoire récente. Et ce tri qu’ils font entre vous et les autres, en raison de votre foi, n’a rien à envier aux méthodes du IIIe Reich. Ils y ajoutent le goût de la mise en scène macabre et l’indécence d’exhiber leurs victimes ensanglantées aux yeux du monde entier.

Je me demande, comme vous, si ces terroristes qui se prétendent musulmans ont conscience de ce qu’ils font. Certes, ils allégueront, comme toujours, le complot de l’Occident, l’injustice infligée à leurs coreligionnaires – comme si ces derniers n’étaient pas leurs premières victimes -, le pétrole, la colonisation, les frontières, l’Amérique et l’occupation israélienne. Rien ne justifie la barbarie pour autant. Qu’ils ne prétendent pas non plus agir sous un quelconque ordre divin. Quel Dieu ordonnerait donc d’égorger ses propres créatures ? Quel Dieu porterait atteinte à l’humain sans se renier Lui-Même ?

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Je vous demande de ne pas faire endosser à tous les musulmans ce qu’une minorité folle commet en leur nom. Je vous demande pardon au nom de l’islam dans lequel je suis née et ai été élevée. L’islam de mon père, cheikh de son état, qui ne jurait que sur la tête de "Sayyidna Issa", "notre maître Jésus". L’islam qui stipule : "Il n’y a pas de différence entre un musulman et un non-musulman, sauf par le degré de la foi." L’islam dont le texte fondateur rend hommage à la Vierge Marie en lui consacrant une sourate entière. L’islam dont les sages et les mystiques appellent le Christ l’"Aimé d’Allah" et qui, en ces temps d’épuration religieuse, devraient rappeler que, pour être un musulman "juste", il faut savoir dire aussi : "Je suis chrétien."

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