Francophonies en Limousin, la fureur de dire

Au Congo, dramaturges, metteurs en scène et acteurs se battent au quotidien pour vivre de leur art. Du 24 septembre au 4 octobre, le festival des Francophonies en Limousin présentait leurs créations.

Jaurès Gamba dans Cantale de guerre, de Larry Tremblay. © Christophe Péan/Francophonies en Limousin 2014

Jaurès Gamba dans Cantale de guerre, de Larry Tremblay. © Christophe Péan/Francophonies en Limousin 2014

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Publié le 6 octobre 2014 Lecture : 6 minutes.

Dans l’obscurité, il sautille, se balance d’avant en arrière, armant son cou-de-pied avec précision et fendant l’air de ses mains. Avec concentration, il reproduit la chorégraphie des agiles maîtres de Shaolin pratiquant l’art martial. De son corps gringalet, il s’approprie l’espace de la scène comme on occupe un ring. Pour lui, le plateau est un champ de bataille. "Quand je joue au théâtre, je fais mon kung-fu", scande Dieudonné Niangouna. Son verbe, vif et acéré, son débit effréné et sa fougue viennent surprendre le public du centre culturel municipal John-Lennon, à Limoges (centre de la France).

À l’occasion du festival de théâtre Les Francophonies en Limousin, l’auteur, metteur en scène et comédien congolais présente Le Kung-Fu, un manifeste sur la naissance de sa vie d’artiste. Bercé par les blockbusters américains et les films de l’acteur chinois Jackie Chan, il raconte les prémices de son engagement d’homme de théâtre à travers sa passion du cinéma dans un solo volcanique où il narre les difficultés d’être artiste au Congo.

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Cette année, Dieudonné Niangouna, figure familière des rencontres dramatiques européennes et premier artiste africain associé au Festival d’Avignon, en 2013, a placé sa visite à Limoges sous le signe du combat. Au-delà de la présentation de son travail d’auteur et de comédien, il s’est fait le porte-parole de la résistance que mènent les dramaturges congolais pour faire exister le théâtre dans leur pays. Dans le cadre d’une "fenêtre ouverte" sur Mantsina sur scène, festival international de théâtre contemporain à Brazzaville, dont la prochaine édition aura lieu du 10 au 30 décembre 2014, metteurs en scène et comédiens ont dit leur envie de faire vibrer la création congolaise et célébré "dix ans de résistance théâtrale".

En 1997, alors que la guerre civile brûle le pays, Dieudonné Niangouna et son frère Criss forment la compagnie Les bruits de la rue. Ils veulent s’exprimer dans un Congo abîmé par le chaos et les turbulences politiques et sociales. Autour d’eux, d’autres auteurs animés d’un même désir. Et c’est en 2003 que Dieudonné Niangouna, Abdon Fortuné Koumbha Kaf, Jean Felhyt Kimbirima, Arthur Vé Batoumeni et Ludovic Loupé rassemblent leurs forces pour valoriser les arts du spectacle en créant Mantsina sur scène.

Ce rendez-vous culturel, où se mêlent théâtre, danse et rencontres d’artistes, est l’occasion pour ces "fanatiques", ces "kamikazes de l’art", tels que les décrit Niangouna, de faire de la scène leur porte-voix, où ils peuvent exprimer leur fureur de dire et déclamer leurs mots coups de poing. Mais le Congo, terreau de création littéraire, n’est pas un territoire où le théâtre peut facilement s’imposer. Ils en font l’expérience quand ils veulent organiser des représentations. "Nous avons constaté qu’être comédien c’était de la débrouille", explique Abdon Fortuné Koumbha Kaf, auteur, conteur et metteur en scène.

Au Congo, tout concourt à la révolte

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Depuis, dix années se sont écoulées. Dix années de fronde des dramaturges contre les autorités, qui ne font pas de la culture une priorité. Les Congolais ont vite compris que, "pour faire du théâtre, il faut boxer la situation", comme le dit Niangouna dans Le Kung-Fu. "Pour être artiste dans ce pays, il faut être révolté, confirme le metteur en scène Harvey Massamba. Au Congo, tout concourt à la révolte : le fait d’être méconnu, le manque d’accompagnement par les institutions de la nation, l’absence de reconnaissance." Loin de la capitale congolaise lors de la création du festival, le dramaturge a décidé de rentrer au pays en 2011, après treize années passées au Cameroun. "C’est à Brazzaville que je devais mener ce combat", explique-t-il.

Contrairement à ses aînés, cette génération d’auteurs décide de vivre de son art et de faire du théâtre son métier. Mais, en 2014, alors qu’il veut obtenir ses droits d’auteur à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) en France, Dieudonné Niangouna doit fournir son attestation d’imposition. Ne résidant pas dans ce pays, il doit donner celle du Congo. Mais impossible de l’obtenir puisqu’il n’y verse pas d’impôts. "Les artistes qui nous ont précédés travaillaient à côté du théâtre, ils étaient professeurs d’université, explique Niangouna. Au Congo, il n’y a pas de statut d’artiste, nous faisons du théâtre officiellement mais clandestinement." Les institutions culturelles sont minées par des problèmes budgétaires, quand elles ne tombent pas en désuétude.

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À Brazzaville, les artistes se retrouvent à l’Institut français, au centre culturel Sony-Labou-Tansi, et répètent beaucoup en extérieur. "Le Centre de formation et de recherche en art dramatique [CFRAD], qui se trouve juste à côté du palais présidentiel, est complètement abandonné. Pour nos représentations, nous devons même louer des chaises", explique Harvey Massamba. "Sans aide à la création et sans structure culturelle digne de ce nom, il nous est difficile de répéter, de créer et de nous exprimer", poursuit Niangouna, qui a pu notamment présenter sa création Shéda à Avignon, en 2013, grâce aux subventions de Total.

Le théâtre congolais est sous perfusion internationale

Au Congo, au quotidien, les artistes montent leurs pièces en "bricolant". "Nous nourrissons notre propre théâtre, nous mettons en place des cotisations dans notre troupe, nous collons nos affiches et faisons du bouche à oreille pour attirer les spectateurs", explique Julien Mabiala Bissila, auteur du texte Au nom du père, du fils et de JM Weston, lu au Festival d’Avignon en 2013 et lauréat du prix RFI-Théâtre 2014. "À force, les opérateurs culturels attendent tout de l’extérieur : le théâtre congolais est sous perfusion internationale", regrette Abdon Fortuné Koumbha Kaf.

D’après Harvey Massamba, si les autorités ne financent pas cet art vivant, c’est parce qu’elles craignent un théâtre subversif. "Le théâtre est le miroir de la société, affirme-t-il. Comment encourager un art qui critique ?" Le combat qu’il mène à la ville, il le mène aussi sur scène, notamment avec la pièce Cantate de guerre, un texte de l’auteur québécois Larry Tremblay dont il signe la mise en scène, présentée pour la première fois cette année aux Francophonies en Limousin. Influencé par l’histoire de son pays, il dénonce les atrocités de la guerre à travers les témoignages macabres d’un père, le bourreau, et d’un fils, la victime, qui font leur autopsychanalyse.

"Notre théâtre n’est pas un théâtre de complaisance, mais il n’est pas non plus uniquement un théâtre de dénonciation, explique Julien Mabiala Bissila. Je fais du théâtre pour prendre la parole." Dans son texte Chemin de fer, il dit venir "de là où la parole se garde dans la poche". Depuis que ces auteurs tournent à l’étranger, leur visibilité leur a permis de faire entendre leur voix. "Mais nous ne devons pas nous contenter de cette renommée et d’une carrière à l’extérieur du Congo. Il faut impulser des actes concrets sur le territoire", assure Massamba.

Malgré les obstacles, les artistes espèrent faire exister leur art au Congo. "Nous sommes animés par la hargne de travailler et voulons léguer quelque chose à la postérité", explique Harvey Massamba. Le metteur en scène vient d’ailleurs de réunir des fonds, grâce à la Croix-Rouge française, pour acheter un terrain où il espère construire une école de théâtre pour former après le baccalauréat à tous les métiers du spectacle, de celui de comédien à celui de metteur en scène en passant par les techniciens son et lumière. Ce serait la première au Congo.

"Qu’on nous laisse la liberté de créer, l’argent nous le trouverons ailleurs, la force, nous l’avons déjà en nous", assure Julien Mabiala Bissila. "L’important, ce n’est pas de gagner ce combat mais de le faire ; ce sont nos arrière-petits-enfants qui le remporteront", affirme Dieudonné Niangouna.

Les oubliées

Dans les coulisses, sur scène, dans le public, on a eu beau chercher, il n’y avait pas de femmes dramaturges congolaises lors de cette 31e édition du festival des Francophonies en Limousin, malgré le thème "les Congo(s) d’aujourd’hui" qui mettait à l’honneur le théâtre d’Afrique centrale. Pourtant, à Brazzaville, elles créent et montent sur les planches, à l’instar de Sylvie Dyclo-Pomos, auteure de Coma bleu, un texte écrit lors de sa résidence à Limoges et présenté en lecture à Avignon en 2013. "Au théâtre national congolais, les femmes sont plus nombreuses que les hommes, confirme l’auteur et comédien Julien Mabiala Bissila. De nombreuses comédiennes congolaises ont fait le tour du monde avec le Rocado Zulu Théâtre de Sony Labou Tansi."

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