L’Afrique rouge

Publié le 7 octobre 2014 Lecture : 3 minutes.

André Bailleul est consultant, ancien chef de mission au ministère français de la Coopération.

Il y avait l’Afrique blanche du Maghreb et l’Afrique noire au sud du Sahara. Il y a maintenant l’Afrique rouge du Quai d’Orsay. Dès que l’assassinat d’Hervé Gourdel a été confirmé, le ministère s’est empressé sur son site de "conseils aux voyageurs" de jeter un voile rouge sur tous les pays d’Afrique du Nord et du Sahel, jusqu’à l’Afrique de l’Est. Avant cet horrible assassinat, il y avait une gradation sécuritaire en trois couleurs ; désormais, l’Afrique est rouge, sans distinction de nuances. On dirait le manteau rouge d’un spahi jeté négligemment sur les épaules africaines.

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Cet égorgement a de nouveau répandu le sang sur la terre d’Algérie, plus précisément en Kabylie, où, pendant la guerre d’indépendance, beaucoup de sang a coulé. Plus de cinquante ans après, au nom d’un islam radical, des hommes affirmant appartenir à un "État" situé à 3 000 km de là égorgent comme un animal un être humain qu’ils ne connaissaient pas et dont le seul tort était de partager la passion de l’escalade avec des camarades algériens.

La couleur rouge signifie la passion, le courage, mais aussi la luxure ; associée au sang, elle renvoie au feu de l’enfer, mais aussi à l’amour divin dans les trois religions révélées. Le rouge est dans l’étoile à cinq branches du drapeau algérien, en référence aux cinq piliers de l’islam. Couleur de la révolution en France, en Russie ou en Chine, il est aussi une couleur africaine, qui figure sur nombre de drapeaux, à commencer par ceux des voisins de l’Algérie.

L’Afrique connaît le rouge couleur sang depuis de longs siècles. Sa terre rouge, la latérite, en est imprégnée, mais elle contient aussi des pigments rouges qui font la beauté des femmes massaïes, tandis que les hommes boivent directement au cou de leurs vaches le sang rouge qui les rend plus forts. Une de ses mers, à l’est, entre l’Égypte et l’Arabie, a pris le nom de Rouge. L’Éthiopie connut la terreur rouge après avoir renversé son empereur. L’Algérie eut ses pieds-rouges, ces tiers-mondistes français venus se mettre à son service, en 1962. Et le Croissant-Rouge porte aide et secours aux musulmans victimes de drames…

Alors, allons-nous devoir quitter cette Afrique que nous avons tant aimée et qui nous a tant apporté ? Allons-nous abandonner les couchers de soleil rouge qui enveloppent les champs de mil, le soir, et disparaissent derrière les baobabs ? Poussé à l’extrême, le principe de précaution est en totale contradiction avec la recommandation faite il y a neuf mois lors d’un sommet Afrique-France de relancer notre coopération et nos investissements sur ce continent. Allons-nous agir à distance, comme on le fait pour la formation ? Allons-nous voir nos amis, nos interlocuteurs par internet, quand cela est possible ? Pourquoi pas, puisqu’il y a des sites de rencontres qui, nous dit-on, fonctionnent bien…

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Allons, gardons notre intelligence éveillée pour laisser aux uns et aux autres la faculté de penser, de juger, de jauger les risques.

Le Sénégal est-il devenu infréquentable, si, comme le dit le consulat de France, il est conseillé de rester à Dakar et à Saint-Louis ? Du jour au lendemain, le Maroc est devenu dangereux et la Tunisie pestiférée. Et ne parlons pas de l’Algérie… Que faire des 250 000 Français, et de leurs entreprises, qui vivent en Afrique ? Les rapatrier, comme les députés et sénateurs qui les représentent ? Fermer les écoles françaises, bunkériser les centres culturels dans les ambassades ?

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L’an dernier, à la même époque, j’ai séjourné avec des amis en Kabylie et dans les Aurès. Nous avons averti les autorités, loué un véhicule de l’Office national du tourisme algérien. Tout au long de notre périple, nous avons été escortés par des gendarmes et des militaires. Nous sommes restés à Tizi-Ouzou et dans les villages alentour, où nous avons reçu un accueil chaleureux. Passant devant le Djurdjura, il n’est venu à personne l’idée de faire des randonnées dans ce massif où vivent, comme chacun sait, les derniers islamistes de la seconde guerre d’Algérie.

Si le principe d’extrême précaution s’étend à l’ensemble du continent, je suggère que nous nous délocalisions tous dans les dix îles du Cap-Vert, superbe pays catholique, accueillant et pourvu de montagnes escarpées. L’océan devrait nous protéger de toute invasion barbare. Au moins pour un temps.

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