Attaque chimique en Syrie : « Bachar al-Assad a tenté de voir s’il pouvait faire ce qu’il voulait avec Donald Trump »
La surprise des frappes sur la Syrie ordonnées par Donald Trump ce jeudi a pris la place de l’effroi provoqué mardi par le gazage d’un bourg rebelle du nord de la Syrie. Selon toute vraisemblance, il a été opéré par les forces du régime de Bachar el-Assad.
En 2013, après qu’une première attaque au sarin a fait des centaines de victimes dans un quartier rebelle de Damas, Assad avait échappé de peu à une première intervention américaine en acceptant l’élimination de tout son stock d’armes toxiques.
Comment Donald Trump, qui avait alors demandé à son prédécesseur Barack Obama de ne pas mettre en œuvre les représailles annoncées en cas de franchissement de cette « ligne rouge » peut-il aujourd’hui franchir le pas ? Réaction de colère après avoir contribué à une certaine réhabilitation d’Assad ? Volonté d’aller, en tout et partout, contre les actions d’Obama ? Affirmation d’autorité à l’usage des « États voyous » du monde ?
Et côté syrien, qu’est-ce qui a poussé à cet acte tabou et sans bénéfice militaire ? Folie suicidaire du régime ? Volonté de faire capoter les négociations en cours ? De briser la coopération américano-russe naissante ? De rappeler aux alliés russes et iraniens d’Assad qu’il reste seul maître en son pays ? Initiative d’ultras du régime ?
Les fumées des roquettes au gaz du régime et des 59 missiles de croisières américains mettront du temps à se dissiper, les hypothèses fleurissent et tous les scénari sont avancés.
Politologue spécialisé dans les conflits du Moyen-Orient, Julien Théron décrypte les derniers événements pour Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Cette attaque chimique sur les rebelles syriens était-elle un coup de folie suicidaire, un calcul diabolique ?
Julien Théron : J’y vois une mécanique à l’œuvre depuis le début de la crise où le régime, impuni jusqu’aux frappes du 6 avril, se sent incité à tester sur le terrain hier l’inaction d’Obama et aujourd’hui les déclarations de Trump. Deux jours avant l’attaque, le nouveau président américain affirmait que le régime n’était plus la priorité américaine en Syrie, ce qui était déjà le cas de l’administration Obama, même si la rhétorique anti-Assad subsistait encore.
Et Trump venait de recevoir le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, déclarant qu’il fallait des hommes forts pour un Moyen-Orient stable : un message involontaire de sa part mais qui a plausiblement laissé penser au régime de Damas que Washington lui laisserait désormais les mains libres.
Des ultras du régime auraient-ils pu prendre cette initiative ?
Julien Théron : C’est envisageable, mais sans élément probant, l’on reste au niveau des scénari. Toutefois, pour faire capoter les négociations qui ont lieu à Astana et Genève, les durs du régime n’ont jamais eu besoin d’aller jusque-là. Cette attaque était très risquée par rapport à l’accord de 2013 sur le désarmement chimique de la Syrie, mais il y avait des signaux montrant que le régime était sous pression, au moins trois attaques au chlore ayant été reconnues par l’ONU depuis 2013 sans aucune sanction. Il a donc peut-être tenté de voir si, avec Trump, il pouvait faire ce qu’il voulait et frappé plus fort. En l’occurrence ce n’est pas du tout le cas et le régime s’est pris un sévère retour de bâton.
Au-delà du soutien déclaratoire à Bachar al-Assad, quelle peut être la réaction des Russes ?
Julien Théron : Les Russes ne sont pas contents, c’est sûr. Cette crise vient à un moment sensible, après les soupçons de complicité entre les services russes et certains proches de Trump pendant sa campagne électorale, et alors qu’une bataille interne à l’administration américaine sur le positionnement vis-à-vis de la Russie fait rage − des parlementaires républicains à Washington poussant à adopter une ligne dure avec la Russie −. Pour la Russie, cette crise ne mène pas du tout les relations russo-américaines dans le sens espéré.
Toutefois, le 6 avril, le Kremlin a déclaré que le soutien russe à Assad n’était pas inconditionnel, ce qu’il avait déjà dit, mais le répéter à ce moment précis n’est pas anodin.
Les Russes ont aussi déclaré, alors que Trump menaçait d’une action unilatérale, qu’ils n’étaient pas opposés à des enquêtes sur le terrain, ce que prévoyait la résolution qu’ils avaient rejeté auparavant, mais probablement avec des sanctions le cas échéant. À ce moment-là, les Russes ont dû comprendre que les Américains allaient frapper et ils ont modifié leur position, ce qui montre comment fonctionne cette joute stratégique.
Assad n’a-t-il pas trahi ses alliés en menant cette attaque chimique ?
Julien Théron : Notamment les Russes, qui avaient garanti l’accord de démantèlement des stocks chimiques de 2013 et étaient parvenus à expulser Européens et Américains de la scène des négociations syriennes. Ce genre d’action, qui ramène tout le monde dans le jeu, n’est pas productif du point de vue russe. Idem pour les Iraniens, qui tentent de mettre en place leurs milices dans toute la région et n’ont aucun intérêt à voir débarquer des Marines à côté de celles-ci.
Le régime a déjà agi plusieurs fois de son propre chef avant des négociations, c’est un classique. Il a joué sa propre carte et a mis ses alliés dans une position difficile. C’est aussi une manière de les pousser à le soutenir, sans leur laisser le choix.
Une vraie ligne rouge concrète est-elle désormais tracée dans le sol syrien ?
Julien Théron : Le message est très clair. Ce à quoi il faut être attentif maintenant, ce sont les futures réactions de Trump en cas de nouvelles opérations de bombardements de civils, de bombardements au phosphore ou de bombardements de cibles humanitaires : aura-t-il la même position ?
Pour l’instant elle a été liée par Donald Trump au caractère chimique des armes employées, mais comme il est impétueux et que l’on ne sait pas trop à quoi s’attendre avec lui, il pourrait peut-être décider de nouvelles actions. En tout cas le régime s’interrogera maintenant sur une potentielle réaction américaine s’il va trop loin dans les violations du droit de la guerre.
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