Tunisie – Sfax : « La ville est abandonnée »

Dans l’intérieur de la Tunisie, électeurs et formations politiques se croisent, entre désillusions des uns et ambitions électorales des autres. Reportage.

La capitale du Sud avait donné l’avantage à Ennahdha en 2011. © Ons Abid

La capitale du Sud avait donné l’avantage à Ennahdha en 2011. © Ons Abid

Publié le 15 octobre 2014 Lecture : 3 minutes.

Déserte le soir et hyperactive le jour, Sfax la laborieuse reprend son souffle le temps de la prière du vendredi. Autour de la mosquée de la cité El-Habib, un seul sujet de conversation : la journée de la colère organisée le lendemain, 27 septembre, pour protester contre le prolongement de la ligne de chemin de fer de Moknine-Monastir jusqu’à Mahdia (Sahel), alors que Sfax manque cruellement d’infra­structures, selon ses habitants.

"Nous sommes lésés depuis trop longtemps. Nous ne devons notre développement qu’à nous-mêmes, s’emporte Ammar, un boulanger de Sakiet Eddayer. La ville est abandonnée par les autorités alors que notre agglomération donne beaucoup au pays." Une crispation révélatrice de l’état d’esprit des Sfaxiens à quelques semaines des législatives. La campagne donnera-t-elle l’occasion de se faire entendre, et d’obtenir des réponses ? En tout cas, les poids lourds en lice ont senti le vent du mécontentement souffler. Et ont ajusté leur stratégie.

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Nida Tounes et Ennahdha ont misé sur des enfants du pays devenus des hommes d’affaires de renom, respectivement Moncef Sellami, patron de One Tech Holding, et Mohamed Frikha, ancien PDG de Syphax Airlines. Depuis, toute la ville en parle. "Sellami est un pondéré, il est respecté et ne traîne pas de casseroles. Par contre, il n’a pas investi à Sfax", tancent les uns, tandis que d’autres reprochent à Frikha de ne pas avoir tenu "la promesse faite pendant la révolution de baser sa compagnie aérienne" dans la ville. Et d’ajouter : "La seule chose claire, c’est son ambition." Pourtant, les Sfaxiens pourraient éprouver une certaine fierté. Mohamed Frikha est candidat à la présidence de la République, une promesse de visibilité pour la région.

Mais le scepticisme à l’égard des politiques a pris le dessus. Tous attendent des réponses aux problèmes du quotidien. Même si la société civile tente de rappeler que les élections municipales sont là pour ça, et n’ont lieu que dans un an, les formations plébiscitées après la révolution telles que les partis nationalistes ou de gauche pourraient bien payer dans les urnes leurs errances politiques. "Trois années de démocratie m’ont fait passer des sentiments révolutionnaires à la raison", constate un électeur du Congrès pour la République (CPR), qui examine désormais les propositions concurrentes.

Les islamistes demeurent probablement les plus actifs et les plus proches des Sfaxiens. Travail social, nettoyage des rues et consolidation du réseau de mosquées leur avaient déjà permis de remporter les élections de la Constituante en 2011, avec près de 47 % des voix. Même au sein de l’École nationale d’ingénieurs de Sfax (Enis), les discours se sont parfois radicalisés. Une petite frange d’étudiants ne cache d’ailleurs plus son admiration pour Daesh (organisation État islamique) et n’hésite pas à comparer les humiliations que l’Occident fait subir à l’Irak à celles que l’État impose à Sfax depuis l’indépendance.

Noureddine Ketari, un ancien secrétaire d’État sous Habib Bourguiba, tente de comprendre cette jeunesse désabusée : "Nous avons attendu dix-huit ans l’autoroute ; le projet de Taparura [cité balnéaire] et celui du métro sont à l’arrêt ; le plan urbain n’a pas été revu, et la distribution de l’eau pose problème. Le Sahel a largement profité des attentions et des prodigalités de l’État, Sfax non." Il reste peu de temps aux candidats pour convaincre qu’ils feront mieux.

50 listes et des islamistes bien partis

Sfax comprend deux circonscriptions : Sfax 1, qui compte sept sièges à l’Assemblée (pour 193 000 électeurs), et Sfax 2 avec neuf sièges (pour 250 000 électeurs). Lors des élections de 2011 pour la Constituante, Ennahdha avait largement dominé le scrutin, remportant sept des seize sièges (trois à Sfax 1 et quatre à Sfax 2). Le Congrès pour la République (CPR), Ettakatol et Al-Aridha avaient obtenu un siège chacun dans les deux circonscriptions, tandis qu’Al Badil Thaouri raflait le dernier siège libre à Sfax 1. Al-Mustakbal et Afek Tounes s’étaient, eux, partagés les deux sièges restants à Sfax 2. Cette année, 50 listes ont été déposées dans chacune des deux circonscriptions.

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