Tunisie : la rébellion paradoxale des médias contre la Haica
Faute de licence, neuf radios et télévisions ont été sommées de cesser d’émettre. Plutôt que d’obtempérer, elles tirent à boulets rouges sur l’instance tunisienne de régulation de l’audiovisuel.
Une instance régulatrice qui peine à imposer son autorité, des médias qui se mutinent, un cahier des charges décrié… Tels sont les ingrédients du "médiagate" qui se joue dans la plus grande confusion en Tunisie. Le 17 septembre, la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) avait sommé quatre stations de radio et cinq chaînes de télévision, et non des moindres, de cesser leur diffusion sous neuf jours, faute de licence. Au lieu de s’exécuter, les médias concernés ont ouvert leurs antennes à de véritables réquisitoires contre l’instance…
Nessma TV se pose ainsi en victime de la Haica et invoque la liberté d’expression inscrite dans la Constitution. Pourtant, l’instance n’a pas dérogé à son rôle de gendarme de l’audiovisuel chargé de l’application du décret-loi de 2011 qui régente le secteur. Elle exige que radios et télévisions se conforment au cahier des charges qu’elle a élaboré en mars 2014 à partir d’une réflexion entamée trois ans plus tôt par l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (Inric), aujourd’hui dissoute.
Les gratifications de Ben Ali
Au coeur de la polémique, la question des conflits d’intérêts concernant les patrons de médias impliqués en politique. Slim Riahi, propriétaire d’Ettounsiya TV, est en lice pour l’élection présidentielle du 23 novembre ; Tahar Ben Hassine, de la chaîne El-Hiwar Ettounsi (il a entre-temps vendu ses parts), soutient publiquement le candidat Moustapha Kamel Nabli ; et Mohamed Ayachi Ajroudi, patron d’Al-Janoubia, dirige un parti politique.
Autre grief adressé aux chaînes Hannibal TV et Nessma TV : la présence d’actionnaires étrangers à leur capital, ce qu’interdit le cahier des charges – qu’elles n’ont certes pas signé. Enfin, les conditions de leur création, sous l’ancien régime, posent problème. "Ces médias ont pu travailler grâce au fait du prince, à partir de gratifications accordées par Ben Ali, et non sur une base de droit", précise Larbi Chouikha, universitaire spécialiste des sciences de l’information.
>> Lire aussi : Législatives : que font les patrons tunisiens en tête de listes ?
Bien que passibles d’une amende de près de 25 000 euros par jour pour les télévisions et de 10 000 euros pour les radios, les médias rebelles continuent d’émettre et de tirer à boulets rouges sur la Haica. Ce faisant, ils contribuent à saper l’autorité de l’État. Un phénomène qu’ils ne cessent pourtant de dénoncer dans leur ligne éditoriale.
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