C’est « mal parti »

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 9 octobre 2014 Lecture : 4 minutes.

Nous vivons un de ces moments exceptionnels où, dans le monde entier, la plupart des gens se posent le même ensemble de questions.

Qu’est-ce que cet "État ou califat islamique" qui tout d’un coup a surgi en Irak le 9 juin dernier ? Submergeant une partie du pays, piétinant des frontières séculaires, il a étendu son ombre sur la Syrie, avant de menacer les pays voisins et de susciter des émules jusqu’en Algérie !

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Quelle résonance réelle a-t-il parmi les musulmans ? Comment s’explique son émergence fulgurante ?

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Est-il le rival d’Al-Qaïda en plus jeune ? Ou bien son successeur en plus radical encore ? Ou bien est-ce tout autre chose ?

Faut-il considérer que l’organisation créée au XXe siècle par Oussama Ben Laden est en voie de disparition ? Et devons-nous désormais concentrer notre attention sur ce rejeton auquel on dénie le qualificatif d’"islamique" ?

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La coalition mise en place par l’Amérique, le reste de l’Occident et quelques pays arabo-musulmans dans leur rôle traditionnel de supplétifs est-elle la bonne réponse ?

Je me contenterai pour aujourd’hui d’éclairer quelques-unes de ses "zones d’ombre" et de montrer que la lutte contre ce "califat" ou cet "État islamique" ou ce "Daesh", comme certains l’appellent, est "mal partie".

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Par quels termes faut-il désigner cette entité néojihadiste ?

Dans les chancelleries comme dans les médias, on a, un temps, parlé d’"État islamique". Mais, assez vite, les Euro-Américains et leurs alliés ont dénié à ces néojihadistes le qualificatif d’islamique qu’ils s’étaient approprié, de même que celui de "califat". Mais ils n’ont rien trouvé de mieux que de reconnaître le nom (arabe) de Daesh, qu’ils s’étaient donné au départ et qui est l’acronyme d’État islamique en Irak et au Levant.

Reconnaissez que ce n’est guère mieux, et le terme même d’"État" est inapproprié.

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Les Euro-Américains et leurs "alliés arabes" dénient à ces jihadistes le qualificatif de musulmans. Dans les médias, on a répété à satiété que, l’islam étant religion de paix, de modération et de tolérance, ces extrémistes égorgeurs de prisonniers ne sauraient être musulmans. On les a donc, si l’on ose dire, "excommuniés".

Cela n’empêche pas la Terre de tourner, ni ces extrémistes de se sentir musulmans, d’être considérés comme tels par les autres musulmans, y compris ceux, majoritaires, qui les désapprouvent ou les rejettent.

Ceux qui avaient conçu, organisé et exécuté les attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington étaient, qu’on le veuille ou non, des musulmans.

Et ne se trompait pas celui qui a dit, à l’époque : "Tous les musulmans ne sont pas terroristes, certes, mais les terroristes politiques sont des musulmans."

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Al-Qaïda et son terrorisme indiscriminé étaient une maladie de l’islam ; les néojihadistes de Daesh nous disent, aujourd’hui, que les pays arabo-­musulmans sont loin d’être guéris du mal qui sévit dans leurs rangs.

On pourra vaincre ces néojihadistes par une nouvelle guerre contre le terrorisme, comme on a vaincu Al-Qaïda par celle lancée par George W. Bush. Mais on ne les extirpera pas pour autant de notre planète, pas plus qu’on n’en a extirpé Al-Qaïda et ses franchises. Et le germe qu’ils ont semé restera dans le corps de l’islam.

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Avec leurs excès et leurs dérives, Al-Qaïda hier et l’État islamique aujourd’hui sont l’expression de la révolte armée – avec recours au terrorisme – d’une minorité d’Arabo-Musulmans contre l’injustice, les inégalités et la mauvaise gouvernance, qui sont leur lot depuis des décennies, voire des siècles.

Ils estimaient que l’argent du pétrole devait être alloué à l’éducation, à la santé, au développement, mais n’ont pu que constater qu’il était gaspillé en achats d’armes inutiles et détourné pour enrichir les castes au pouvoir.

Ils ont vu le nassérisme comme le baasisme échouer.

L’un après l’autre, leurs dirigeants (et leurs entourages) ont sombré dans la corruption, l’accaparement des richesses, l’inféodation aux intérêts étrangers ; leurs pays et leurs ressources ont été pillés, décennie après décennie, par des oligarchies nationales alliées à l’étranger.

Après la première révolte d’Al-Qaïda, qu’ils n’ont pas approuvée, ils ont vu leurs semblables humiliés dans les prisons irakiennes (Abou Ghraïb) et afghanes (Bagram).

"Les groupes radicaux prospèrent sur les ruines de la guerre et tout autant sur le désastre moral de gouvernements sectaires et corrompus", a dit Rony Brauman.

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Barack Obama a succédé à George W. Bush il y a près de six ans. Mais il n’a pas fermé le camp de Guantánamo, que son prédécesseur avait ouvert et rempli de ces fantômes en uniforme orange qui ont marqué les esprits.

Diplomate de carrière, géostratège américain, Thomas Pickering a pu écrire : "Nous avons fait des choses horribles à ceux que nous avons détenus après le 11 septembre 2001. Nous nous sommes laissés aller à une guerre contre l’islam sans nuance. Sous prétexte de crise terroriste, nous nous sommes autorisés à oublier notre engagement pour les droits de l’homme. Nous avons imposé au reste du monde des décisions prises à Washington."

Les choses ont-elles suffisamment changé ? Il faut craindre que non.

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Ce n’est pas en incluant dans sa coalition les wahhabites saoudiens et les néowahhabites qataris, financiers de l’islamisme le plus intégriste, que l’Amérique d’Obama persuadera les Arabo-Musulmans les mieux disposés à son égard que la révolte de Daesh est encore moins justifiée que celle d’Al-Qaïda.

Daesh a auprès d’eux une résonance qu’il faut se garder de sous-estimer, parce qu’il les venge de la veulerie de leurs dirigeants et des humiliations que leur inflige l’arrogance quotidienne de bien des Occidentaux.

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