Pourquoi la CPI n’arrive pas à (faire) arrêter Omar el-Béchir ?
Depuis 2010, le président soudanais va-et-vient librement alors que les juges de la Cour pénale internationale (CPI) le lui ont interdit, du moins en théorie. Pour la première fois, la semaine dernière, la Cour a jugé un État pour avoir reçu Omar el-Béchir.
Le Statut de Rome, texte fondateur de la CPI, est clair : les États signataires ont pour obligation de coopérer avec la Cour et de livrer toute personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international et ce, quelque soit son statut. Mais, visiblement, il ne s’applique pas au président Omar el-Béchir, qui pourtant depuis 2009 est dans le viseur de la CPI.
Dans quels pays Omar el-Béchir a-t-il voyagé ?
Malgré l’émission de deux mandats d’arrêts internationaux (pour crime contre l’humanité et crime de guerre et pour génocide) en 2010, le chef de l’État voyage régulièrement, sans être nullement inquiété.
Et ce, y compris dans certains États signataires du Statut de Rome : encore fin mars, Omar el-Béchir, invité par le roi Abdallah II de Jordanie, a participé au 28e sommet de la Ligue arabe qui s’est tenu à Amman.
En visite d’État ou à l’occasion de sommets internationaux, Omar el-Béchir s’est rendu dans plus d’une quinzaine de pays africains depuis sept ans, dont plusieurs sont membres de la CPI (Tchad, Malawi, Kenya, Djibouti, RDC, Ouganda, Nigeria et Afrique du Sud).
Aucun d’entre eux n’a obéi aux demandes de la Cour de procéder à l’arrestation du président soudanais lorsqu’il était sur le leur sol et les plaintes de la Cour à ce sujet devant l’Assemblée des États signataires du Statut de Rome n’ont par ailleurs rien donné.
Ses déplacements en toute liberté témoignent-ils d’un dysfonctionnement de la CPI ?
Pour Ophélie Marrel, responsable de la commission Justice de l’ONG Amnesty International France, les multiples voyages d’Omar el-Béchir sont le reflet du manque de coopération des États signataires et ne doivent pas être imputés à un dysfonctionnement ou un échec de la CPI.
Telle qu’elle a été pensée au départ, « l’institution dépend entièrement de la coopération des États membres et ne dispose pas d’une police propre », explique cette responsable.
Pourquoi la CPI a-t-elle fait comparaître l’Afrique du Sud ?
Pour la première fois le 7 avril, le gouvernement d’un pays membre, en l’occurrence le gouvernement sud-africain, a dû s’expliquer devant les juges pour avoir refusé d’arrêter Omar el-Béchir en juin 2015. Le président soudanais s’était rendu à Johannesburg pour participer au sommet de l’Union africaine (UA), suscitant une vive polémique dans le pays.
Lors de cette audience inédite à la Haye, les autorités se sont défendu d’avoir violé aucune règle, invoquant deux principaux arguments : premièrement, l’immunité de chef d’État dont bénéficie le président soudanais aux termes du droit international, deuxièmement, le fait qu’il appartienne, lui, à un pays non signataire du Statut de Rome.
La question de l’immunité de chef d’État doit être clarifiée
Selon, Allan Ngari, chercheur à l’Institute for Security Studies (ISS), un think tank sud-africain, ces deux arguments ne tiennent pas. D’abord car, dans cette affaire, la CPI a été saisie par le Conseil de sécurité des Nations unies qui, à travers une résolution (n°1593, adoptée le 31 mars 2005) a décidé de « déférer au Procureur de la CPI la situation au Darfour depuis le 1er juillet 2002 ». Cette décision autorise donc la CPI à engager des poursuites dans un État qui n’est pas signataire du Statut de Rome.
En revanche, « la question de l’immunité doit être clarifiée », admet ce spécialiste, basé à Pretoria, en commentant le conflit des règles internationales, invoqué par les autorités sud-africaines.
À l’heure actuelle, Omar el-Béchir est le seul chef d’État en exercice à faire l’objet d’un mandat d’arrêt international. Si le président kényan Uhurru Kenyatta avait dû comparaître en octobre 2014 devant la CPI pour crime contre l’humanité, la Cour avait décidé, faute de preuves suffisantes, d’abandonner les poursuites contre lui.
La décision de la CPI sur l’Afrique du Sud aura-t-elle des conséquences ?
Sur la question de savoir si l’Afrique du Sud a failli ou non aux obligations légales que lui impose son statut de membre de la CPI, les juges n’ont pas encore rendu leur verdict. Cette décision pourrait faire jurisprudence, même si les sanctions prises à l’encontre du pays ont peu de chance d’être contraignantes.
Paradoxalement, si le gouvernement doit rendre des comptes aux juges de la CPI, c’est aussi parce qu’en amont de la visite de Béchir et contrairement à d’autres, il avait saisi la Cour comme l’y autorise l’article 97 du Statut de Rome, explique Allan Ngari.
À l’issue de cette consultation, les juges de la CPI avaient estimé que les autorités sud-africaines devaient obligatoirement procéder à arrestation d’Omar el-Béchir, ce qu’elles n’ont pas fait. Un volte-face que reprochent aujourd’hui les juges de la Haye au gouvernement sud-africain.
Comment se positionne l’Union africaine sur le cas Omar el-Béchir ?
Notons que la procédure engagée contre l’Afrique du Sud par la CPI est totalement indépendante de celle qui a été engagée au niveau national. Lors de sa visite en Afrique du Sud, la Haute Cour de Pretoria avait interdit au président soudanais de quitter le territoire, dans l’attente que la justice sud-africaine, saisie par une ONG, tranche sur l’examen de la demande d’arrestation émise par la CPI.
En pratique, Omar el-Béchir avait a pu regagner Karthoum en avion, au départ de la base militaire de Waterkloof, avant même que le verdict tombe. Le président soudanais n’avait en réalité pas grand chose à craindre.
Les autorités sud-africaines, qui ne cachent pas leurs critiques envers la CPI, n’ont fait qu’appliquer la règle dictée par l’UA, imposant aux pays hôtes de sommets de l’organisation régionale d’accorder la protection et l’immunité à leurs participants.
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