Polygamie et boîte de Pandore vaticane

Pendant deux semaines, l’institution synodale du Vatican se penche sur la « famille dans le contexte de l’évangélisation ». Le cœur du pouvoir catholique a besoin d’une Afrique conservatrice. À ne pas confondre avec une Afrique « traditionnelle »…

L’oeil de Glez. © Damien Glez

L’oeil de Glez. © Damien Glez

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Publié le 9 octobre 2014 Lecture : 4 minutes.

On se bouscule, depuis dimanche, et pour deux semaines, dans l’État le moins peuplé du monde. Et l’on y parle famille, bien que s’y marier et y procréer ne soit guère à l’ordre du jour. Le Vatican, l’une des six dernières monarchies absolues de la planète, accueille plus de 200 cardinaux, archevêques et évêques pour un synode autour du débonnaire pape François. S’il entendait bousculer les certitudes d’une Église catholique romaine "riche" et engoncée, le souverain pontife sans numéro ne pouvait trouver meilleur sujet que celui de la famille. Au moment où la France de l’autre célibataire François (Hollande) se re-déchire sur l’hétérogénéité sexuelle du couple ou les chemins de la filiation, la réunion vaticane soulève tout à la fois les questions de l’avortement, de la contraception, de l’homosexualité et du divorce. Autant de sujets qui, selon une récente enquête d’opinion initiée par Rome, divisent les autorités ecclésiastiques et leurs fidèles.

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Aussi "swag" qu’il en a l’air, le pape qu’on dit mériter le prix Nobel de la Paix a déclaré ne vouloir éluder aucun tabou, ni la cohabitation hors mariage, ni la réalité des couples gays avec enfants, ni les unions interreligieuses, ni le divorce, ni le remariage. Le chef de l’Église catholique romaine a indiqué n’avoir que peu d’inclination pour les "trop lourds fardeaux moraux" que les pasteurs imposent parfois à leurs brebis désorientées. Encore novice à son poste, François suscite espérance méfiante des catholiques progressistes et suspicion inquiète des conservateurs.

Dans l’imaginaire collectif, le continent noir est tout à la fois réactionnaire et fervent.

Si les partisans d’une doctrine de base intangible – avec un mariage indissoluble, entre un homme et une femme, en vue de faire des enfants – sont majoritaires au Vatican, il leur reste à composer une majorité à l’échelle du monde. L’Afrique leur prêtera-t-elle une oreille attentive, elle qui représente 42 pères synodaux sur les 191 présents actuellement à Rome ? Dans l’imaginaire collectif, le continent noir est tout à la fois réactionnaire et fervent. Fervent, car le christianisme semble y avoir, devant lui, des jours plus beaux que dans les contrées occidentales. Bien que les chrétiens y subissent régulièrement des persécutions -des coptes d’Égypte aux victimes nigérianes de la secte Boko Haram-, l’enseignement du Nazaréen s’y diffuse toujours plus. Il nourrit non seulement les cohortes de convertis évangélistes, mais aussi, selon l’Annuario Pontificio 2012, des catéchumènes orientés vers Rome. Cette communauté catholique grandissante s’appuie sur des mentalités qui, bien avant l’argumentation spirituelle, abhorrent des idées comme le mariage gay. Un bon point pour les conservateurs du Vatican. Mais les chrétiens du sud boivent-ils pour autant le dogmatisme latin comme du petit lait ?

À l’approche du synode sur la famille, le professeur congolais Bénézet Bujo mettait en garde contre une théologie moins universelle qu’occidentalo-centriste. Spécialiste des théologies africaines et professeur au département de théologie morale et d’éthique à l’université suisse de Fribourg, il rappelait qu’on ne peut "ignorer les autres cultures, qui devraient aussi avoir leur place dans le christianisme". Il évoquait, par exemple, le "mariage par étapes" pratiqué dans le système matrimonial africain. Comment un vieux cardinal caucasien entend-il cette invitation à tisser le mariage religieux non seulement avec le mariage civil, mais aussi avec le mariage coutumier ? Et ceci à travers une éventuelle célébration sacramentelle unique ? La perplexité initiée par le concept laisse la place à des sueurs froides, lorsque la quête d’un catholicisme tropicalisé conduit à l’évocation de la polygamie…

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Si la pratique du mariage simultanément multiple a tendance à s’estomper, à l’échelle des siècles et du monde, elle n’est pas ringarde sur le continent africain. Elle apparaissait même "tendance", en début d’année, dans des pays comme la Tunisie où la rédaction de la nouvelle constitution tunisienne envisageait l’option ou au Kenya où le Parlement votait une loi permettant aux hommes de ne pas informer leur(s) épouse(s) avant d’installer une nouvelle conjointe à la maison. "Quand vous épousez une femme africaine, elle doit savoir que la deuxième va suivre, puis la troisième (…). C’est l’Afrique", indiquait Junet Mohammed dans un pays peu islamisé. Les intellectuels catholiques comme Bénézet Bujo pourraient-il suivre cet élu kenyan dans leur quête de l’africanisation des unions ?

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Pour les spécialistes, la question du mariage à conjointes multiples serait moins un élément de dispersion libérale dans la pensée vaticane qu’un instrument de recentrage idéologico-théologique. Selon eux, condamner sans nuance la polygamie s’accompagne d’un durcissement du propos sur l’indissolubilité du mariage ; et réciproquement. Conservateurs théologiens et traditionalistes africanistes pratiquent donc le jeu du "je te tiens, tu me tiens par la barbichette". Au final, selon le vaticaniste américain John Allen, "la voix de l’Afrique dans le débat semble renforcer l’aile conservatrice".

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Par Damien Glez

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