Adama Paris : « La Black Fashion Week, c’est d’abord une histoire de culture, pas de couleur »

Vivement critiquée lors de la première Black Fashion Week parisienne en 2012, la styliste sénégalaise Adama Paris a organisé la troisième édition du 2 au 4 octobre avec la même fougue. Comme un pied-de-nez à ses détracteurs. Interview.

La styliste sénégalaise Adama Paris. © Bruno Levy pour J.A.

La styliste sénégalaise Adama Paris. © Bruno Levy pour J.A.

Publié le 4 octobre 2014 Lecture : 3 minutes.

JEUNE AFRIQUE : Lors du lancement de la Black Fashion Week à Paris en 2011, les critiques à l’égard de l’évènement et de l’intitulé même de cette semaine de la mode "noire" ont été très virulentes. Comment avez-vous réagi ?

Adama Paris  : J’ai vécu les critiques de "communautarisme" comme une agression. Pour la première fois, je me suis sentie différente en France alors que ma couleur de peau ne m’avait jamais posé de problème. Je suis née au Zaïre, j’ai grandi en France, en Allemagne, aux États-Unis, en Italie. Mon inspiration vient de mon nomadisme.
J’ai joué la provocation en ajoutant le mot "black" à l’évènement parce que je souhaitais montrer toute la peine et la souffrance que nous avons, nous les Noirs, à faire des choses en France. Mais la Black Fashion Week, c’est d’abord une histoire de culture, pas de couleur. D’ailleurs, la mode n’a pas de couleur. En tant que styliste, je trouvais simplement scandaleux que nous ne puissions pas promouvoir nos designs sous prétexte que nous soyons noirs, jaunes ou blancs.

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Qu’en est-il aujourd’hui pour cette troisième édition parisienne ?

Les critiques sont moins virulentes mais elles restent sous-jacentes. Elles se sont estompées parce qu’il y a eu des bavures comme celles de l’article "Black Fashion Power" du magazine Elle ou de la série de photographies "African Queen" avec un mannequin maquillée en noir. Ces erreurs ont légitimé mon combat.

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Aujourd’hui, je me sens moins seule parce que d’autres voix se sont levées. Des pointures de la mode se sont indignées, à l’image des top model Naomi Campbell et Iman qui ont dénoncé le racisme dans la mode. Il y a une prise de conscience de l’establishment.

Lors de la Fashion Week 2014 à Paris, peu de mannequins noires ont défilé et aucun designer africain n’était présent. Pourtant, lors des semaines de la mode de New-York ou Milan, les afro-caribéens ont une plus grande visibilité. Les choses bougent à New York et à Milan mais Paris est en retard. Un jour ou l’autre, la France emboîtera le pas même si dans ce pays, ce n’est pas seulement l’univers de la mode qui est cloisonné mais l’état d’esprit. Pour séduire ce monde clos, il faut avoir été plébiscité ailleurs. En 2015, nous allons organiser la Black Fashion Week à Washington DC. Espérons que ce nouveau rendez-vous fera changer les mentalités

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La Black Fashion Week peut-elle servir de rampe de lancement aux créateurs africains ?

Anna Wintour, la rédactrice en chef de l’édition américaine du magazine Vogue, a invité l’une de nos designers Sophie Zinga, qui avait présenté sa collection à la Black Fashion Week, à la Vogue Fashion Night en Italie aux côtés des plus grands créateurs. C’est une fierté pour nous. Peu à peu, nos défilés sont relayés dans les blogs et les magazines de mode comme Elle Montréal. Et petit à petit, la reconnaissance de nos stylistes rejaillit sur la réputation de l’évènement.

Quelles sont les tendances à découvrir lors de la Black Fashion Week 2014 ?

La tendance est à la mode "afropolitaine". Nous sommes des Africains modernes qui avons nos racines enfoncées dans notre continent mais nos ailes en Europe. J’aime cette dualité. Je suis Sénégalaise, Française et noire et c’est ce mélange qui a forgé mon identité.

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Nos créateurs proposent des coupes européennes avec des touches subtiles d’africanité. Ils avancent avec le marché : nous voulons proposer une mode à la portée de tous qu’un Européen, un Asiatique ou un Africain peuvent porter. Le côté africain n’est présent que dans la suggestion, loin du "total look afro", star des défilés de l’an dernier.
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Propos recueillis par Emeline Wuilbercq

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