La Francophonie ne doit pas devenir un espace économique
Cette tribune a été rédigée par Chérif Salif SY, économiste, ancien conseiller technique d’Abdoulaye Wade, Kako Nubukpo, ministre togolais de la Prospective et de l’Évaluation des politiques publiques et Jean-Joseph Boillot, économiste, coauteur de Chindiafrique.
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Jean-Joseph Boillo
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Jean-Joseph Boillot
Economiste français, auteur de « Utopies made in Monde. Le sage et l’économiste »
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Chérif Salif Sy
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et Kako Nubukpo
Économiste, commissaire chargé de l’agriculture, des ressources en eau et de l’environnement à l’Uemoa
Publié le 31 décembre 2014 Lecture : 3 minutes.
Le sommet de la Francophonie n’a pas passionné les foules en France. On en a retenu la désignation difficile d’une nouvelle secrétaire générale canadienne et non africaine, sans savoir que la question du financement de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), largement supporté par l’État français, n’a pas été étrangère à cette nomination. Elle a été aussi déterminante, si ce n’est plus, que les différends afro-africains.
Mais comment ce sommet a-t-il été vu par les sociétés civiles du continent ? Que doit-on penser en Afrique mais aussi en France-Afrique de l’idée d’un « espace économique francophone » ? Celui-ci doit-il devenir une priorité de l’OIF, comme on l’entend parfois ? Et ne risque-t-il pas d’être considéré comme un espace « néocolonial » par beaucoup d’Africains ?
La lecture de l’étude réalisée en 2012 par la fondation Ferdi ainsi que la mobilisation de certains lobbys français sur le thème de « l’Afrique, avenir de la France », peuvent leur donner raison. D’abord, et on le voit tous les jours en France même, il n’est jamais bon de mélanger les intérêts publics et privés. Ces derniers tendent très vite à imposer leur agenda. Ensuite, seule l’addition simpliste de pays où l’essentiel des populations ne parle en réalité pas le français mais d’autres langues, africaines ou non, conduit à créer l’illusion d’un espace économique commun qui représenterait 6 % à 8 % de l’économie mondiale. Quelques équations économétriques visent ensuite à affirmer que ce serait un espace vertueux. Il n’en sera rien.
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Prôner le libre-échange avec les pays industrialisés ne peut que prolonger le sous-développement.
Dani Rodrik, économiste turc de l’université Harvard, l’a très bien dit : l’Afrique ne peut en fait se développer qu’en s’industrialisant, et elle doit pour cela protéger ses industries naissantes, y compris sur le plan monétaire, comme le démontre Kako Nubukpo dans son livre « L’Improvisation économique en Afrique de l’Ouest : du coton au franc CFA ».
Elle doit ensuite transformer, de façon prioritaire, ses régions parfois morcelées en marchés intégrés qui regroupent des voisins géographiques et proches en termes de niveau de développement, exactement comme l’a fait l’Union européenne après la guerre.
On comprend bien par exemple qu’une Afrique de l’Ouest sans le Nigeria et le Ghana n’a aucun sens sur le plan économique. Et que prôner le libre-échange entre des pays dits francophones industrialisés et des pays riches en matières premières mais aux agricultures fragiles et à l’industrie inexistante ne peut que prolonger le sous-développement selon toutes les théories économiques connues.
Deux lièvres à la fois
Pour la France elle-même, construire un espace économique francophone n’est pas bon. À vouloir courir deux lièvres à la fois, l’Europe et l’Afrique, elle prend le risque de se retrouver de plus en plus faible sur ces deux fronts. L’avenir de l’appareil productif français se joue en Europe, aussi difficile que soit le bras de fer avec ses voisins. Et à la France d’oeuvrer pour convaincre que l’avenir de l’Europe se joue en effet en Afrique. Mais pas dans la politique du chacun pour soi, qui prédomine aujourd’hui si l’on en juge par les politiques africaines de l’Allemagne, du Royaume-Uni, et donc de la France. Le risque en effet est un scénario de la Conférence de Berlin à l’envers – l’éclatement de l’Europe – tant va s’affirmer la puissance du continent africain dans les décennies à venir.
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Cependant, l’OIF peut jouer un rôle extrêmement utile dans le développement économique de l’Afrique dès lors qu’elle cible deux des problèmes majeurs du continent, qui font déjà partie de ses objectifs : la gouvernance et le développement humain. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le dernier classement sur la corruption de Transparency International, celui de l’enquête annuelle de la Banque mondiale, « Doing Business », ou celui du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) sur l’éducation.
Le pays le plus peuplé de l’OIF, la RD Congo, arrive par exemple bon dernier dans tous ces classements. Et ce n’est que l’arbre qui cache la forêt. Il est bien dommage qu’un tel débat n’ait pu avoir lieu lors du dernier sommet de Dakar. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.
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