Riziculture : Louis Dreyfus déchante en Côte d’Ivoire

Deux ans après l’accord signé entre Dreyfus et Abidjan, l’enthousiasme suscité par l’arrivée de la multinationale est retombé. Visant l’autosuffisance, l’État compte garder le contrôle du secteur.

Pour s’approvisionner en riz, le groupe Louis Dreyfus Commodities doit négocier avec les paysans. © Thierry Gouegnon/Reuters

Pour s’approvisionner en riz, le groupe Louis Dreyfus Commodities doit négocier avec les paysans. © Thierry Gouegnon/Reuters

Publié le 7 janvier 2015 Lecture : 4 minutes.

C’est l’histoire d’un malentendu. Fin janvier 2013, Margarita Louis-Dreyfus est reçue à Abidjan pour signer un accord historique : son groupe se lance dans la production de riz alors qu’il domine déjà les importations de ce produit dans le pays. « La Côte d’Ivoire mettra à notre disposition entre 100 000 et 200 000 ha dans le Nord, affirme alors Serge Schoen, directeur général de Louis Dreyfus Commodities (LDC). La Côte d’Ivoire et nous investirons 30 milliards de F CFA [près de 46 millions d’euros] dans le projet qui démarrera cette année. » La presse s’enthousiasme, le gouvernement affiche sa satisfaction. Le président Alassane Ouattara veut atteindre l’autosuffisance en riz avant 2020, avec une production annuelle d’environ 3 millions de tonnes. La Côte d’Ivoire importe d’Asie plus de la moitié de sa consommation, en pleine croissance.

Deux ans après, où en est-on ? Contacté à plusieurs reprises, LDC ne souhaite pas s’exprimer. Autour de la lagune Ébrié, rares sont ceux qui connaissent le dossier ou veulent en parler. Mais tout le monde s’accorde sur un point : il n’a jamais été question de céder ou de louer ces immenses surfaces à Dreyfus. « Il y a eu confusion entre « mise à disposition » et « disponibilité potentielle », admet Siaka Coulibaly, directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture.

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Seuls l’État et les opérateurs nationaux peuvent être propriétaires de la terre. » La zone concernée par l’accord, un immense territoire autour de Korhogo, offre « 100 000 ha potentiels ». En clair, Dreyfus doit négocier parcelle après parcelle. « Encore faut-il trouver 5 000 à 10 000 paysans prêts à coopérer pour lui fournir du riz », prévient Frédéric Varlet, agroéconomiste. Le groupe devra en effet convaincre les producteurs pour sécuriser son approvisionnement.

« En cours »

Un parcours du combattant auquel l’américain Cargill aurait renoncé avant lui, avec un plan pourtant limité à 30 000 ha. D’ailleurs, parmi la petite dizaine de projets ciblés par les autorités, peu ont avancé. Néanmoins, Siaka Coulibaly assure que le processus de contractualisation des paysans mené par le groupe Dreyfus « est en cours », sans dire combien d’hectares le négociant est parvenu à sécuriser. Selon nos informations, un représentant du groupe est arrivé avec une enveloppe de 1 milliard de F CFA pour un premier achat de paddy (riz non décortiqué).

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Mais avant d’obtenir le grain blanc prêt à être consommé, un prérequis est incontournable : construire des usines pour transformer le paddy.

Qui s’en chargera ? Pour certains, ces investissements doivent être pris en charge par le négociant. Mais l’Office national de développement de la riziculture (ONDR), chargé par le ministère de coordonner les actions dans le secteur, affirme le contraire. « Mettre en place une capacité de transformation est du ressort de l’État », avance son directeur général, Yacouba Dembelé. Selon lui, Abidjan va quadrupler les capacités de transformation dans la région en construisant une quinzaine d’unités entre 2015 et 2018. Un investissement d’environ 3,5 milliards de F CFA financé par un prêt de l’Exim Bank of India et remboursé par la vente des usines à des opérateurs ivoiriens.

Abordable

Avec la construction des usines, l’État contrôle le rythme des investissements mais aussi la taille des sites de transformation : de petites unités de capacité comprise entre 10 000 et 25 000 tonnes par an, ce qui correspond à ses attentes. « Dreyfus voulait construire une grande usine de 150 000 t par an, pour laquelle il serait allé chercher le paddy à 200 km à la ronde, explique Yacouba Dembelé, précisant que ce projet est suspendu en raison de son coût.

Si l’objectif de l’autosuffisance est discutable du point de vue de la compétitivité, il se comprend en matière d’indépendance, de politique ou d’emploi.

Le riz ainsi produit reviendrait à 450 ou 500 F CFA le kilo. Trop cher pour répondre à notre objectif : qu’il soit abordable pour les Ivoiriens. » Aujourd’hui, il est commercialisé autour de 350 F CFA le kilo. Plusieurs spécialistes doutent d’ailleurs de la compétitivité du riz ivoirien. Selon Frédéric Varlet, celui-ci « coûte deux ou trois fois plus cher à produire qu’en Asie ». Il estime que le pays devrait se concentrer sur les produits pour lesquels il dispose d’un avantage comparatif (cacao, café, etc.). « Autant importer si c’est moins cher », tranche pour sa part une source issue d’une institution financière de développement. D’autant plus que les prix mondiaux sont en baisse depuis 2011.

Si l’objectif de l’autosuffisance est discutable du point de vue de la compétitivité, il se comprend en matière d’indépendance, de politique ou d’emploi. Selon le schéma des autorités, « Dreyfus sera responsable des flux, résume Yacouba Dembelé. Il fournira les intrants [semences, engrais, pesticides] aux paysans, puis leur achètera le paddy, qui sera transformé dans les usines exploitées par des Ivoiriens, et en bout de chaîne il se chargera de la distribution [voir ci-dessous]. » Ainsi, le négociant sera un chef d’orchestre, disposant d’une trésorerie suffisante pour avancer les intrants puis la récolte.

Un partenariat public-privé qui rappelle le système mis en place par l’État avant les années 1990 : une société publique organisait chaque culture, brassant de fortes sommes d’argent, ce qui a entraîné abus et faillites (la Soderiz, par exemple). « On veut refaire ce qui a fait le succès de la Côte d’Ivoire, mais avec le privé, là où se trouve le cash », analyse Édouard Messou, le président du cabinet PwC chargé de l’Afrique subsaharienne francophone. L’État fait ainsi le pari d’une gestion plus rigoureuse. Et attire, dans des secteurs où les professionnels locaux peuvent manquer, des acteurs internationaux de poids.

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