L’apatridie est une grave injustice qui peut être résolue

Mohamed Touré est représentant du Haut Commissariat aux réfugiés (UNHCR) en Cote d’Ivoire.

Publié le 3 octobre 2014 Lecture : 4 minutes.

ABIDJAN, 2 octobre 2014. Lorsqu’on lui demande sa nationalité, Ousmane, âgé d’une trentaine d’années, ne sait pas quoi répondre. Il est né dans un petit village dans le sud-est de la Côte d’Ivoire, près de la frontière avec le Ghana, mais n’a jamais été déclaré à l’état civil – ses parents, qui étaient planteurs et décédés depuis longtemps, n’ont pas pensé à le faire à sa naissance, et aujourd’hui, personne au village ne peut confirmer ses origines. Il n’a aucune trace de son père, qui a disparu lorsqu’il était encore enfant, et ne peut pas prouver que sa maman était burkinabè. En conséquence, ni les autorités de Côte d’Ivoire ni celles du Burkina Faso ne reconnaissent Ousmane comme un ressortissant de leur pays. Il est, en un mot, un apatride.

Être apatride, c’est être sans nationalité ; le lien juridique entre un Etat et un individu a cessé d’exister et la personne apatride n’est reconnue par aucun pays comme étant l’un de ses citoyens. Les causes de ce vide juridique sont complexes, sont liées souvent à la succession d’États et à des lacunes dans leur code de la nationalité, et les conséquences sont très profondes tant au niveau individuel qu’au niveau collectif.

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>> Voir aussi notre carte interactive : l’Afrique, un continent aux millions d’apatrides ?

Traite et travail forcé

Lorsque le Haut-Commissaire pour les Réfugiés (HCR), que je représente en Côte d’Ivoire, a rencontré Ousmane il y a quelques semaines, il avait déjà énormément souffert. Sans documents et donc sans opportunités, il a été victime de traite et de travail forcé depuis l’âge de six ans, lorsqu’il a commencé à travailler dans des champs de cacao pour des propriétaires véreux qui le frappaient si ses récoltes n’étaient pas à la hauteur de leurs attentes.

Selon les estimations du gouvernement ivoirien, 700 000 personnes vivant sur le sol ivoirien sont apatrides ou à risque d’apatridie.

Ousmane a aujourd’hui de la chance : le HCR et ses partenaires sur le terrain, notamment le ministère de la Justice, des Droits de l’Homme et des Libertés publiques, trouveront une solution à sa situation qui lui permettra d’obtenir éventuellement une nationalité et de jouir de tous les droits qui en découlent. La Côte d’Ivoire est un des rares pays en Afrique à accepter la réalité de l’apatridie sur son territoire et à prendre les démarches nécessaires pour éradiquer et prévenir ce phénomène.

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Selon les estimations du gouvernement ivoirien, 700 000 personnes vivant sur le sol ivoirien sont apatrides ou à risque d’apatridie. Beaucoup de résultats ont déjà atteints par les autorités étatiques avec le soutien du HCR et d’autres acteurs humanitaires : la ratification des conventions internationales relatives à l’apatridie (la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie), des audiences foraines pour permettre aux personnes potentiellement à risque d’obtenir des extraits de naissance, de la sensibilisation sur l’importance de déclarer les enfants dès la naissance, et le programme de l’acquisition de la nationalité par déclaration qui permettra à beaucoup de personnes à risque d’apatridie de régulariser leur situation, pour citer quelques exemples.

10 millions de personnes touchées dans le monde

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De nos jours, il y a environ 10 millions de personnes dans le monde qui existent dans un vide juridique total sans recours et restent invisibles devant la loi. Sans nationalité, ils ne pourront pas aller à l’école, posséder leurs propres terres, avoir un emploi formel, voter ou accéder aux soins de santé. Sans papiers, ils pourront être détenus pour des périodes prolongées et seront toujours vulnérables à l’exploitation.  Ils auront aussi des difficultés à déclarer leurs enfants à l’état civil étant donné qu’eux-mêmes n’ont aucune pièce d’identité, ce qui transmettra leur statut d’apatride aux générations suivantes.

Le 3 octobre représente une date historique pour la Côte d’Ivoire – le pays célèbre aujourd’hui le premier anniversaire de sa ratification des deux conventions internationales sur l’apatridie. L’engagement pris par le gouvernement ivoirien reflète sa volonté d’améliorer les conditions de vie des milliers de personnes dans le pays qui souffrent de ce fléau, et je m’engage, en tant que représentant du HCR en Côte d’Ivoire, à pleinement soutenir cet effort. Nous nous attelons actuellement à identifier les personnes les plus à risque – comme Ousmane – et à porter leurs cas à l’attention des autorités. Le mois prochain nous lancerons une campagne globale pour éliminer l’apatridie d’ici 10 ans. Elle sera accompagnée d’un plan global stratégique d’action, qui définira les moyens concrets pour chaque État d’atteindre cet objectif.

La nationalité est un droit fondamental comme le stipule l’Article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et représente le fondement principal de notre identité. L’apatridie est créée par l’homme ; heureusement, elle est relativement simple à résoudre et à éviter. En sensibilisant les parents sur l’importance de déclarer leurs enfants à la naissance et en apportant un soutien individuel à chaque personne affectée, nous avons l’opportunité, comme jamais auparavant, de nous attaquer à cette injustice.

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