Sénégal : Sidy Mokhtar Mbacké, ainsi soit-il…
L’influent khalife général des mourides Sidy Mokhtar Mbacké voit défiler chez lui les puissants de la scène politique sénégalaise.
Le président Macky Sall, son opposant déclaré Idrissa Seck, son prédécesseur Abdoulaye Wade et le fils de ce dernier, Karim, actuellement jugé pour enrichissement illicite, ont un point commun. Ils ont tous reçu, en septembre, les bénédictions de Serigne Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké, 90 ans, le septième khalife général des mourides. Idrissa Seck, qui appartient pourtant à la confrérie tidjane (la plus importante en nombre), s’en est allé faire son jebëlu ("allégeance") à Keur Nganda, lieu de retraite spirituelle du guide religieux.
Au risque de provoquer l’incompréhension dans les rangs de son propre parti. C’est ensuite Macky Sall (tidjane lui aussi) qui a fait une visite de courtoisie au petit-fils de Serigne Ahmadou Bamba Mbacké (plus communément appelé Serigne Touba), fondateur des mourides, de passage à Dakar. Abdoulaye Wade ne pouvait être en reste. Premier – et seul à ce jour – président du Sénégal à être un authentique talibé mouride, l’ancien chef de l’État a rencontré à son tour le guide spirituel.
>> Lire aussi : Marabout power ou l’influence des confréries
Quant à son fils Karim, incarcéré depuis dix-huit mois, il a reçu de Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké des berndé (repas copieux) dans sa prison de Rebeuss. "Dites au calife que Serigne Touba m’a donné assez de force pour subir dignement cette injustice", aurait confié le zélé talibé à la délégation du calife général.
Silhouette frêle, la barbe blanchie par les ans, l’homme remplit un véritable rôle de guide spirituel. Né en 1924 à Mbacké Kadior, celui que l’on connaît aussi sous le nom de Cheikh Maty Lèye a suivi la formation théologique poussée qui sied aux héritiers de Serigne Touba. Fidèle aux préceptes de son grand-père, ce soufi est aussi agriculteur et a consacré sa vie à l’étude des textes sacrés ainsi qu’à la mise en valeur des vastes exploitations agricoles qu’il possède dans la région de Touba. À l’origine de la création de nombreuses daara consacrées à l’apprentissage du Coran, il finance également chaque année le pèlerinage à La Mecque de plusieurs dizaines de talibés.
Une revanche symbolique pour les héritiers de Serigne Touba
"Son premier discours après sa désignation, en juillet 2010, a été l’occasion d’appeler à la concorde entre confréries et à l’unité des musulmans", rappelle Bakary Sambe, enseignant-chercheur à l’université Gaston-Berger (Saint-Louis). C’est un homme éloigné des préoccupations matérielles qui, pour concrétiser son approche oecuménique, adresse des offrandes à ses homologues de la Tidjaniya à l’occasion du Maouloud de Tivaouane (la fête annuelle des tidjanes) et reçoit les hommes politiques sans distinction, affichant en la matière une stricte neutralité.
Septième khalife général depuis la mort de Serigne Touba, Serigne Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké est aujourd’hui le dépositaire de la longue histoire croisée entre le pouvoir politique sénégalais et les confréries. "De Faidherbe à Macky Sall, le pouvoir a toujours eu besoin des confréries, qui jouent un rôle de stabilisateur social et lui offrent une forme de légitimité", rappelle Bakary Sambe. D’où l’incessante procession du banc et de l’arrière-banc de la scène politique sénégalaise dans ses résidences de Touba, Keur Nganda ou Dakar.
Cette reconnaissance constitue une revanche symbolique pour les héritiers de Serigne Touba, autrefois diabolisés. Le magal de Touba, pèlerinage annuel vers la ville sainte, ne célèbre-t-il pas le départ en exil de Serigne Touba, longtemps brimé par l’administration coloniale ? En 2013, Macky Sall décidait d’en faire un jour férié. Et depuis les dernières élections locales, on évoque l’adoption d’un statut spécial qui viendrait entériner la situation dérogatoire qui prévaut déjà de facto à Touba, propriété privée où la loi du khalife général se substitue à celle de l’État.
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