Hazar Jhinaoui : « Le Conseil tunisien du sécularisme intrigue et fait peur »
Le Conseil tunisien du sécularisme a vu le jour le 13 avril, à l’initiative du jeune parti des Démocrates fondé en mars 2016. Sa principale mission : œuvrer pour « une Tunisie séculière libre et démocrate », comme nous l’explique sa présidente Hazar Jhinaoui.
L’État tunisien est-il laïc ? Si la Tunisie de Bourguiba s’en est targuée et que les gouvernements successifs affirment y veiller, le débat est régulièrement relancé, attisé par un flou constitutionnel.
En son article premier, la Constitution de 1959 stipulait « au nom de Dieu » que la religion de la Tunisie est l’islam. Entend-on alors celle de l’État, de sa population, ou des deux ? Si la nouvelle Constitution de 2014 précise par la suite le caractère civil de l’État tunisien, elle appelle en même temps celui-ci à « protéger le sacré et empêcher qu’on y porte atteinte ». Et en l’absence criante d’une Cour constitutionnelle, les ambiguïtés planent encore… D’où la création d’un mouvement pour la sécularisation du pays.
Jeune Afrique : La laïcité est-elle assez bien garantie en Tunisie, selon vous ?
Hazar Jhinaoui : La Tunisie n’est pas un pays laïc car elle ne garantit la laïcité ni en droit, ni dans les faits. La constitution de 2014 présente, certes, une avancée par rapport à la précédente, mais elle n’est pas laïque. Son article 74 constitue à lui seul une discrimination sur la base de la religion par exemple, puisqu’être musulman est une condition sine qua non pour pouvoir présenter sa candidature à la présidentielle.
De même, son article 6 dit garantir la « liberté de croyance et de conscience », mais stipule aussi que l’État doit protéger la religion. Peut-on garantir la liberté de conscience alors qu’on interdit de débattre du sacré ?
Quels sont les objectifs et les missions du Conseil tunisien de sécularisme ?
Le Conseil tunisien du sécularisme (CTS) œuvrera pour condamner et éliminer toute forme de discrimination, qu’elle soit sociale, culturelle, religieuse ou institutionnelle. Notre projet est celui d’une société égalitaire et démocratique : une société de Droit. Pour cela, il faut bousculer les habitudes, changer les procédures et les lois. Ce Conseil comprend aussi un observatoire, ayant pour mission de détecter toute infraction à l’égard de la citoyenneté des Tunisiens.
Est-ce une première en Tunisie ?
Il y a eu la création, en 2011, de la Ligue pour la défense de la laïcité et des libertés, qui rassemble essentiellement des militants de gauche mais qui refuse de quitter sa tour d’ivoire. Afin d’être plus proche du peuple, nous avons choisi de former un mouvement englobant à la fois un ou plusieurs partis politiques, des personnalités indépendantes (juristes, intellectuels) et des membres de la société civile. Le premier de ce genre en Tunisie.
Les politiciens tunisiens associent encore et toujours le sécularisme au mouvement destourien qui a tenté la libération de la femme. Nous voulons recadrer le débat. Nous n’avons pas à choisir entre conservateurs destouriens et conservateurs islamiques ; ce n’est pas une fatalité. Nous présentons une vraie alternative séculière fondamentalement basée sur la liberté et l’égalité totales des citoyens.
Craignez-vous des réactions hostiles à cette initiative ?
Depuis la fondation du parti Les Démocrates, et encore plus après la création du Conseil tunisien du sécularisme, réactions hostiles et menaces de mort sont notre pain quotidien. J’ai même personnellement été victime de provocations physiques. Mais cela ne nous intimide pas, rien ne nous fait peur. Toutes nos actions passées ou à venir sont le fruit d’une mûre réflexion et d’une expérience associative et politique des membres du conseil. Oui, le terrain est miné, mais nous avons la carte des explosifs !
Ce nouveau-né intrigue et fait peur pour une raison simple : il porte un projet clair et précis adoptant un nouveau discours direct et lucide. Nous exigeons de garantir à l’ensemble des citoyens les mêmes droits et une liberté effective.
Le mois du ramadan approche. Comptez-vous intervenir à ce sujet ?
Faire le jeûne ou pas est un choix personnel, l’État n’a pas à intervenir en la matière. D’ailleurs, nous demandons l’abolition du décret qui exige la fermeture des restaurants en journée pendant le mois sacré. Cette discrimination est le fruit de logiques et habitudes sociales qui doivent être remises en cause.
Le Conseil militera pour instaurer la culture de la différence et de l’acceptation de l’Autre. D’ailleurs, nous proposerons bientôt au gouvernement d’intégrer l’enseignement des droits de l’Homme dans les manuels scolaires en lui consacrant un volume horaire conséquent.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?