Africa Now : une opération manquée ?

Censée refléter le dynamisme de l’art, du design et de la mode africaine, l’opération Africa Now menée à Paris par les Galeries Lafayette jusqu’à fin juin, offre-t-elle vraiment une vitrine sur la création africaine contemporaine ou n’est-elle que pure récupération marketing ?

Visuel d’Africa Now © Africa Now X Marché Noir

Visuel d’Africa Now © Africa Now X Marché Noir

eva sauphie

Publié le 24 avril 2017 Lecture : 4 minutes.

Depuis le lancement de l’opération Africa Now impulsée par les grands magasins du Boulevard Haussmann, à Paris, le débat fait rage. Les outils de communication autour de la campagne, d’abord, ont fait couler beaucoup d’encre sur Internet. À commencer par l’affiche illustrant l’événement.

Au menu : de la couleur, de l’imprimé, deux mannequins – l’un blanc, l’autre noir – flanqués respectivement de perruques volumineuses typées « afro », l’une brune, l’autre blonde. Si l’on retrouve ici l’identité graphique des campagnes de pub des Galeries Lafayette signées Jean-Paul Goude – directeur artistique de l’enseigne de 2001 à 2015 – manque pour beaucoup l’identité africaine. Certains internautes ont regretté l’absence de « deux modèles africains » – entendez par-là deux mannequins à la peau foncée – tant du côté de la communauté noire que de la communauté blanche. Tandis que d’autres ont déploré un parti pris graphique truffé de clichés et de raccourcis.

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L’affiche d’Africa now

L’affiche d’Africa now

L’Afrique safari tendance savane à coup de touches d’imprimé léopard par-ci, et l’Afrique réduite au wax – est-il utile de rappeler l’origine de ce tissu ? – par-là. « On a avant tout souhaité représenter un événement festif », a défendu l’une des représentantes de la communication des Galeries Lafayette lors de la table ronde Africa Now Talk organisée le 20 avril dans le cadre de l’événement.

L’Afrique, « ce pays folklorique »

Même son de cloche du côté de la parade Africa Now organisée un peu plus tôt dans le mois, dimanche 2 avril. Les Galeries Lafayette avaient mis au point, en collaboration avec le Marché Noir – nouveau temple de la fripe africaine campée dans le quartier du Marais et dirigé par un ancien de la team du Comptoir Général, Amah Ayivi −, six marches représentant la mode africaine, « de ses racines les plus anciennes à ses expressions les plus contemporaines ».

Pour autant, aucun aspect du savoir-faire local, de l’artisanat ancestral et autre technique de teinture et de tissage segmentés par pays n’a été passé au crible lors de la manifestation. Aussi, a-t-on pu découvrir une Afrique teintée de folklore et d’imaginaire erroné avec deux premiers tableaux placés sous le signe du gospel puis du vaudouisme : « pas très africain, le gospel », s’est ainsi exclamée une internaute sur la page Facebook des Galeries Lafayette. Les marches réservées à la création contemporaine étaient quant à elles articulées autour de l’évidente culture sapologique.

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Mais là où le bât blesse, c’est qu’aucun designer africain n’a été contacté pour incarner cette « créativité africaine » plébiscitée par l’événement. Excepté la sélection de Marché Noir et ses pièces chinées en Afrique de l’Ouest, le défilé de clôture a fait la part belle au made in France avec des labels surexposés dans le paysage de la mode parisienne ces cinq dernières années depuis l’explosion du wax, parmi lesquels Château Rouge, Eli Kuamé, Bazara’Pagne, Natacha Baco et consorts.

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Si ces derniers créateurs sont pour la plupart issus de la diaspora africaine et méritent toute leur place dans la nouvelle scène mode inspirée de l’Afrique, où étaient donc les designers venus du continent ?

Inspiration VS appropriation culturelle

Outre l’exposition « Le Jour qui vient » hébergée à la Galerie des Galeries, qui a réussi à réunir plusieurs acteurs de l’art contemporain africain dans toute sa diversité, avec des artistes venus du Nigeria, d’Afrique du sud, du Togo, de la Tunisie, ou encore du Zimbabwe, sans oublier l’œuvre de l’artiste malgache, Joël Andrianomearisoa, installée sous la coupole du grand magasin parisien, la création africaine à travers le prisme de la mode et du design était bel et bien inexistante.

Certes sublimées par une scénographie imaginée par le photographe nigérian Lakin Ogunbanwo, les vitrines des Galereries Lafayettes n’en demeurent pas moins investies par des collections de prêt-à-porter de luxe ou haut de gamme aux couleurs de l’Afrique créées par des designers européens.

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« Ceci n’est pas nouveau, s’est exprimée la nigériane, Uche Pézard, fondatrice et directrice générale de Luxe Cor, lors de l’Africa Now talk « Comment concilier luxe et responsabilité aujourd’hui en Afrique ». « Quand Hermès a créé la série de foulards en faisant appel à des artisans du Zimbabwe issus de la coopérative Ardmore, la collection a été sold out en quelques semaines, mais aucun artiste n’a jamais été mentionné ».

Ne pas mentionner les petites mains est une tradition de longue date dans l’histoire de l’industrie de la mode. Mais à l’heure où les designers africains sont sous-représentés sur les podiums internationaux, il semble urgent pour Uche Pézard « de reconnaître cette valeur locale en créditant les artisans africains qui collaborent pour des maisons européennes ». Et de poursuivre, tout en feuilletant l’un des derniers numéros de l’Express Styles (daté du 5 au 11 avril) consacré à la mode africaine où pas un seul créateur africain ne figure au casting des pages shootings, qu’: « il faut que les marques européennes se responsabilisent en allant chercher les créateurs sur le continent ».

Auquel cas, on risque non seulement de passer de l’inspiration à l’appropriation culturelle, mais pire encore, de voir une mode africaine vulgarisée et mal interprétée disparaître aussi vite qu’elle est apparue. « Il faut changer de narration. Ce que l’on voit dans les magazines européens aujourd’hui ne raconte pas une histoire africaine. L’Afrique d’aujourd’hui ? Mais ceci n’est pas l’Afrique ! », a lancé l’entrepreneuse nigériane en s’emparant de la brochure d’Africa Now et en pointant du doigt la fameuse création publicitaire.

Si l’intention y est, Africa Now a sans doute manqué son objectif. La faute à un problème de communication, de positionnement, ou bien par méconnaissance d’un secteur de la création africaine loin d’être uniforme.

« Je ne pense pas que l’on soit totalement passés à côté. Africa Now est une première étape. Il y a encore beaucoup à faire, et nous le ferons à l’avenir », a ainsi conclu la responsable de la communication de l’enseigne lors du talk.

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