« Tram 83 » : le Fiston des lettres congolaises…

Il rêvait de devenir V.-Y. Mudimbe ou Pius Ngandu Nkashama. Mais il a fini par dessiner sa propre voie. À 33 ans, Fiston Mwanza Mujila signe un premier roman très prometteur, Tram 83.

Fiston Mwanza Mujila est installé en Autriche. © DR

Fiston Mwanza Mujila est installé en Autriche. © DR

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Publié le 2 octobre 2014 Lecture : 4 minutes.

Sa voix est calme, avec un léger accent swahiliphone. Des cheveux épais, des mots plein la bouche. Quand il commence à parler, difficile de l’arrêter. Il ne tarit jamais. Une manie qui transparaît même dans son écriture. "Je m’éclate", reconnaît Fiston Mwanza Mujila alors en promotion à Paris pour son premier roman, Tram 83, un récit nerveux, entrecoupé par "une sorte de notes de musique" qui revient presque à chaque page.

Comme pour rappeler l’influence omniprésente de la rumba, du jazz et de la poésie dans son texte surréaliste. Il faut s’accrocher. On y croise à la fois "les musiciens par inadvertance, les prostituées du troisième âge, les creuseurs en mal de sexe, les pasteurs des Églises de réveil, les médecins diagnostiquant dans les boîtes de nuit, les jeunes journalistes déjà à la retraite, les rebelles dissidents, les politiciens "m’as-tu-vu", les enfants-soldats, les vendeurs d’eau fraîche, les miliciens autoproclamés "maîtres de la terre""…

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Bref, toutes sortes de peuplades du "Ville-Pays", cet État chaotique réinventé par l’auteur, mais qui ressemble, à quelques différences près, à son pays d’origine, la République démocratique du Congo (RD Congo).

>> Voir l’interview vidéo de Fiston Mwanza Mujila :

Les "lieux de socialisation" le fascinent

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Chez Fiston Mwanza Mujila, "écrire, c’est aboyer dans le vide, c’est comme boire de la bière, se faire plaisir". Pour y parvenir, il n’hésite pas à sortir des sentiers battus. Dès ses débuts, vers la fin des années 1990, dans sa Lubumbashi natale, capitale de la province la plus méridionale de la RD Congo, le jeune écrivain, aujourd’hui âgé de 33 ans, est en quête d’un "style" singulier pour raconter des histoires, écrire des recueils de poésie, des nouvelles ou des pièces de théâtre.

Une audace récompensée en 2009 par une médaille d’or en littérature aux VIe Jeux de la francophonie à Beyrouth, au Liban. Un premier pas vers la renommée internationale, car, dans la foulée, il est devenu le "premier Africain" à être désigné "écrivain de la ville de Graz", en Autriche, grâce à La Nuit, une nouvelle qui retrace les rapports tumultueux entre une prostituée et l’un de ses clients.

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C’est en effet dans les boîtes de nuit, les bars, mais aussi dans les salons de coiffure et sur les marchés que Fiston Mwanza Mujila puise son inspiration. Ces "lieux de socialisation" le fascinent. Lui qui a pourtant été bercé durant toute son enfance dans une "éducation chrétienne, carrée". Quatrième d’une famille de sept enfants – quatre garçons et trois filles -, il ne pouvait guère s’échapper du cocon familial : "école, église, bibliothèque, point à la ligne", résume-t-il.

Seule distraction : écouter les classiques de la rumba congolaise qui passaient en boucle à la maison. Et il y a pris goût. Au point de vouloir "à tout prix" intégrer une école de musique ! Seulement voilà, la famille, modeste – son père vendait des sacs de maïs -, ne peut pas lui payer des études à Kinshasa. Il n’apprendra pas à jouer au saxophone, cet instrument dont il était tombé amoureux…

Mwanza se plonge alors dans l’écriture pour "noyer sa frustration". Mais Fiston est désormais majeur et peut échapper au carcan familial. Vive l’indépendance ! Il passe des heures dans des bars, "ébloui" de découvrir "un monde marqué par des improvisations incessantes", en décalage avec son éducation de base. "C’est dans cette marginalité que j’ai développé mon écriture", raconte-t-il, regrettant toutefois qu’il n’y ait jamais eu à Lubumbashi de "véritable transmission" entre les ténors de la littérature congolaise qui s’y trouvaient et la "nouvelle génération".

Je n’avais pas d’alibi pour écrire en allemand, confesse-t-il aujourd’hui. Alors que le français, c’est une langue africaine, ma propre langue !

Il n’a pas pu croiser le chemin de Valentin-Yves Mudimbe ou celui de Pius Ngandu Nkashama, les écrivains congolais qui le faisaient rêver. "Ils étaient tous partis en exil au cours des années 1990, lorsque le pays a rompu sa coopération avec la France", raconte Mwanza. Conséquence : le seul centre culturel de la capitale katangaise ferme ses portes. Les écrivains en herbe se retrouvent, du jour au lendemain, sans structure d’encadrement, sans parrain. Un vide.

"Le français, c’est une langue africaine, ma propre langue"

Grâce à son talent, mais surtout à son envie d’apprendre, il parvient tout de même à quitter la ville pour participer à des ateliers d’écriture ici et là, à Kinshasa, à Nairobi, et même à Bruxelles. Il prend également part à plusieurs concours organisés par RFI. "Un passage obligé pour éclore", confie-t-il. Avant d’aller poser ses valises pendant une année en Allemagne. Par "envie de découvrir d’autres choses".

Fidèle à lui-même, le Lushois s’essaie à l’allemand, mais la langue ne lui convient pas. Son style qui se veut éminemment poétique en pâtit. "Je n’avais pas d’alibi pour écrire en allemand, confesse-t-il aujourd’hui. Alors que le français, c’est une langue africaine, ma propre langue", revendique celui qui dit venir de la "dernière ville francophone du continent". Oui, après Lubumbashi, place aux pays anglophones et lusophones de l’Afrique australe !

Installé désormais à Graz, son "arrière-base", où il vit depuis cinq ans, Mwanza ne s’est pas éloigné pour autant de son Congo. Il y retourne souvent pour se ressourcer, mais aussi pour se confronter au quotidien des citoyens de cet "État qui n’existe que sur papier". Un pays aux réalités complexes. "Impossible de les raconter dans un livre", explique-t-il. Même s’il se prête finalement à l’exercice, sans jamais se l’avouer, dans Tram 83. "Il ne s’agit que d’une fiction", se défend-il. Pas question de jouer au donneur de leçons avec les politiciens congolais, encore moins avec ses compatriotes. "Qui suis-je pour m’arroger ce droit ?" martèle-t-il. Un refus catégorique de mélanger les genres.

Tram 83, de Fiston Mwanza Mujila,
éd. Métailié, 208 pages, 16 euros

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