« Bodybuilder » : surprenant Roschdy Zem !

Jamais là où on l’attend, avec « Bodybuilder », l’acteur réalise un troisième film attachant. Et aborde avec originalité l’univers du culturisme et les relations père-fils. Portrait d’un homme modeste qui se tient à distance du star-système.

Renaud de Rochebrune

Publié le 30 septembre 2014 Lecture : 6 minutes.

On le dit fort réservé, sinon timide. Sans doute à cause de ces nombreux rôles où il est apparu comme un homme certes viril et très cash, mais guère jovial et peu disert, voire renfermé derrière son visage buriné. En dehors des plateaux de cinéma, c’est tout le contraire. C’est un Roschdy Zem très décontracté et souriant qui nous reçoit. Avec son habituelle tenue jean – tee-shirt, il met tout de suite à l’aise son interlocuteur, ne refusant aucune question.

Ne dédaignant pas l’humour, il apparaît assez sûr de lui, capable de vives réparties. Sans jouer le moins du monde à la star, malgré une filmographie imposante comme acteur – dirigé notamment par Patrice Chéreau, André Téchiné, Xavier Beauvois, Anne Fontaine ou Rachid Bouchareb, excusez du peu ! – et un début de carrière très prometteur comme réalisateur. Sans doute a-t-on confondu trop souvent son horreur de l’esbroufe et sa réelle modestie avec une quelconque tendance à se replier derrière une carapace.

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Après un bon quart de siècle de carrière devant ou, comme de plus en plus souvent aujourd’hui, ­derrière la caméra, Roschdy Zem n’est pas ­mécontent de pouvoir encore étonner. Habitué à être considéré comme un artiste maghrébin – bien que ce fils de parents marocains très modestes né à Gennevilliers, en région parisienne, se soit toujours efforcé d’échapper à cette étiquette en incarnant des personnages très différents -, il a mani­festement voulu changer son image en ­réalisant son ­troisième film, Bodybuilder. Même si c’est "peut-être ­inconsciemment, je voulais sortir de ce qui fait mon identité professionnelle", avoue-t-il.

Bodybuilder explore, dans le centre de la France, le monde des culturistes, une microsociété en général quasi invisible et bien souvent méprisée.

Après son premier film, Mauvaise Foi, où il rapportait en 2006 toutes les difficultés que peuvent rencontrer deux jeunes, l’un musulman l’autre juive, désirant constituer une union mixte, puis une relecture en 2011 de l’affaire Omar Raddad (Omar m’a tuer) du point de vue du jardinier marocain injustement condamné sans véritable preuve, il a complètement changé d’univers. Bodybuilder explore en effet en suivant ses "héros" dans la région de Saint-Étienne, dans le centre de la France, le monde des culturistes, une microsociété en général quasi invisible et bien souvent méprisée – la gonflette ! le narcissisme ! – par une certaine opinion publique.

Culte du corps

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Comment diable une telle idée a-t-elle pu venir à un passionné de sport drogué au foot, pratiquant depuis quelques années le golf à haut niveau et qu’on imaginerait plutôt fasciné par des boxeurs que par des addicts à la musculation célébrant le culte du corps ? "Avant de jouer le rôle d’un policier infiltré dans un réseau de trafiquants de drogue dans Go Fast, en 2007, il m’a fallu suivre un entraînement sportif assez intensif en salle. Quelques années après, toujours marqué par cette expérience, j’ai voulu aller voir comment cela se passait quand on poussait une telle préparation à l’extrême et au quotidien", explique Roschdy Zem.

Pour ce faire, le cinéaste a fréquenté des culturistes, qu’il a suivis en compétition, parvenant ainsi à gagner peu à peu leur confiance. "J’ai découvert un monde parallèle, reconnaît-il, une sorte de tribu digne d’intéresser un ethnologue, avec ses codes, son propre langage, un savoir sans équivalent sur le corps humain, ses organes, la diététique. Des personnages surtout qui ont adopté un véritable style de vie, totalement investis dans ce qu’ils font, qui ne trichent pas et ne sont motivés que par leur passion, jamais par l’appât du gain dans cette discipline où il n’y a pas d’argent en jeu."

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L’homme de cinéma entraperçoit alors "un univers gratuit, rare dans notre monde moderne, de surcroît très visuel et avec une composante sociale puisque les individus qu’il concerne sont en majorité des prolétaires. Ne restait plus qu’à trouver une histoire se passant dans ce milieu à raconter".


Afin de gagner leur confiance, le réalisateur a suivi ces hommes
qui sculptent leur corps (ici, l’acteur principal, Yolin François Gauvin).
© Julian Torres /Mars distribution

Un Madoff de quartier se rêvant en as de la finance

Ce qu’il a fait avec sa coscénariste Julie Peyr, imaginant qu’un adolescent qui s’est mis en danger à force de vouloir vivre de trafics en tous genres dans la banlieue parisienne est envoyé par sa mère et son grand frère loin en province chez son père qu’il n’a pas revu depuis des années afin de retrouver le droit chemin. Un homme taiseux, champion de bodybuilding et qui tient une salle de musculation, qu’a priori tout oppose à ce fils escroc en manque de repères – un Madoff de quartier se rêvant en as de la finance – qui ne le respecte guère.

"Contrairement aux apparences, ce film, parti d’une idée ex nihilo, est sans doute le plus personnel que j’aie réalisé", assure Roschdy Zem. Car finalement "être un véritable metteur en scène suppose de ne pas être là où l’on vous attend", et donc "de faire des films qui ne sont pas liés directement ou indirectement à vos origines" mais qui "parlent de sujets qui vous interpellent". Et ce qui l’a interpellé, en l’occurrence, ce sont aussi bien ces culturistes – des individus injustement ostracisés -, les valeurs qu’ils entretiennent, que les rapports père-fils dans une situation où la communication est quasi impossible.

"La pudeur, la difficulté à trouver les mots pour se parler entre les générations, l’amour qu’implique le lien du sang qu’on le veuille ou non, c’est quelque chose que je connais très bien", précise l’acteur-réalisateur. Qui ne dira pas que son propre père, "peu enclin à montrer son affection, un comportement très moyen-oriental", est précocement retourné vivre de son côté à Ouarzazate au Maroc. Et qui confie volontiers qu’il est lui-même un père aimant et attentif mais aussi vigilant et redouté pour ses deux enfants.

La prochaine fois que l’on verra Roschdy Zem à l’écran, il apparaîtra au côté de Benoît Poelvoorde, un cambrioleur très amateur et très peu banal dans La Rançon de la gloire, un film de Xavier Beauvois tourné avant l’aventure Bodybuilder. Il s’agit de l’invraisemblable histoire – pourtant authentique – du vol, par deux immigrés, du cercueil de Charlie Chaplin, trois mois après sa mort en Suisse en 1977, dans l’espoir vain d’en tirer une rançon.

Une manière de retrouver la légende du cinéma qui l’a marqué bien avant qu’il ne puisse s’imaginer face à une caméra : "Le premier film que j’ai vu, dans une salle de quartier, était La Ruée vers l’or. Depuis, l’inventeur de Charlot est resté pour moi "le" cinéaste, "la" référence du grand écran."

Une histoire de clown

L’ancien vendeur de jeans aux puces de Saint-Ouen n’a pas fini de croiser la route de Charlie Chaplin. Car son prochain film en tant que réalisateur, bâti sur un scénario une fois de plus inattendu, mettra notamment en scène James Thiérrée, qui s’est fait un nom dans le monde du cirque et qui est le propre petit-fils du plus génial clown du septième art.

Il ne se rêvait pas acteur, mais a profité pleinement des rencontres fortuites qui lui ont permis de séduire l’objectif.

Il jouera là bien sûr… dans une histoire de clown, celle des dernières années de Chocolat, un ancien esclave cubain devenu le plus connu des Auguste au début du XXe siècle avant de tomber dans l’oubli. Lequel Chocolat donnera son nom à ce quatrième long-métrage de Roschdy Zem, dont le rôle-titre sera interprété par Omar Sy.

Une trajectoire à l’issue triste, certes, mais qui tournera encore autour d’un héros positif puisque Chocolat ne sombra jamais dans la mélancolie et, contrairement à la plupart des amuseurs, resta toujours un épicurien et un amoureux de la vie. Somme toute un peu comme Roschdy Zem, certes moins exubérant, à l’occasion austère, mais qui a toujours su apprécier ce que lui offraient comme heureuses opportunités les hasards de l’existence et qui se considère comme chanceux.

Il ne se rêvait pas acteur, mais a profité pleinement des rencontres fortuites qui lui ont permis de séduire l’objectif. Il ne s’imaginait pas le moins du monde réalisateur, mais a sauté sur l’occasion quand un producteur lui a proposé de tourner lui-même le premier scénario qu’il avait finalisé, celui de Mauvaise Foi. Et alors qu’il frise la cinquantaine, il cultive toujours "le plaisir d’aller vers l’inconnu".

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