France : Sarkozy peut-il réussir son retour ?

Rien ni personne n’empêchera l’ancien chef de l’État français, Nicolas Sarkozy, de reprendre la présidence de l’UMP, en novembre. Simple hors-d’oeuvre. Primaire de la droite en 2016, puis présidentielle en 2017… Les prochaines étapes de sa reconquête s’annoncent beaucoup plus délicates.

Publié le 30 septembre 2014 Lecture : 6 minutes.

Nicolas Sarkozy s’est donc lancé à la reconquête de l’UMP, prélude à celle de l’Élysée. Il part favori malgré des sondages contradictoires. Les uns le donnent gagnant, d’autres indiquent qu’une majorité de Français ne veut pas de son retour, tous traduisent le sentiment que la droite ne ferait pas mieux que la gauche au pouvoir. Persuadé que son dynamisme balaiera les obstacles et libérera les ralliements, il reçoit des encouragements flatteurs.

"Vous n’êtes pas le meilleur, lui dit Valéry Giscard d’Estaing, vous êtes le seul." Dominique de Villepin, qu’il voulait naguère pendre à un croc de boucher, affirme qu’il a tiré les leçons de ses erreurs et de ses échecs. Jean-François Copé, flairant des aubaines de revanche, l’a de nouveau rejoint. Une grande partie de la droite gaulliste voit en lui le sauveur providentiel conforme à son culte du chef.

la suite après cette publicité

D’autres, en revanche, le trouvent toujours aussi "clivant", alors que le pays, dans l’ambiance anxiogène de la crise, aspire à l’apaisement. Comment évoluera son image quand il sera passé d’une retraite protectrice aux empoignades de l’arène ? On sait que les coups ne lui font pas peur. "Le pire risque, répète-t-il à ses visiteurs, est de ne pas en prendre." C’est son côté "Culbuto", qui se relève toujours et ne renonce jamais. À condition de ne pas "s’autodétruire en vol", tempère le politologue Jean-Luc Parodi au souvenir des mauvaises manières et des divers esclandres qui ont entaché son hyperprésidence.

S’il se présente, ce n’est pas, à l’entendre, par "envie" – plutôt entrer au Carmel, assurait-il comiquement il y a encore un an. Il s’en fait un devoir moral pour sortir enfin le pays de la débâcle, écarter la double menace d’une sanction des marchés et d’une explosion sociale dans une France devenue "éruptive", et conjurer un tête-à-tête final entre le Parti socialiste et un Front national que Manuel Valls décrit dramatiquement "aux portes du pouvoir". Autant de circonstances exceptionnelles qui lui imposent de renoncer à la bella vita de sa retraite dorée (à 100 000 euros le dîner-conférence) et de replonger dans le "marigot".

En vain ses adversaires ont-ils tenté de l’en empêcher en faisant décider par l’UMP que tout candidat à la présidence du parti s’interdirait de l’être à la primaire présidentielle. Si le calcul était meurtrier, le motif était vertueux : comment pourrait-il mener de front le sauvetage du mouvement, le nettoyage de ses finances, le remplacement de ses équipes et la conduite d’une campagne jusqu’à la lointaine échéance de 2017 ? Deux missions à plein temps incompatibles ? Non, répliquent les sarkozystes, deux batailles complémentaires pour gagner la guerre élyséenne.

Guerre des trois

la suite après cette publicité

Sarkozy refuse toujours de participer à la primaire, cette "présélection" dont il s’estime exonéré de fait et de droit par sa légitimité d’ancien chef de l’État. Brice Hortefeux, l’un de ses plus proches confidents, l’affirme sans langue de bois : "Une primaire est utile quand il y a incertitude. Elle devient inutile lorsque le choix s’impose naturellement." "S’il fait 85 % à la présidence de l’UMP, jubile un autre interlocuteur, c’en sera fini pour tout le monde." En clair, pour ses deux challengers actuels, Hervé Mariton et Bruno Le Maire, mais, surtout, pour ses deux concurrents les plus dangereux pour la primaire.

Alain Juppé, d’abord, qui rappelle : "Quand je me lance, c’est pour gagner." Les sondages le donnent en deuxième position chez les militants, mais en première chez les sympathisants de droite et du centre, sans souffrir apparemment de l’objection de son âge, qu’il réfute gaillardement : "Mieux vaut un sexa en forme qu’un quinqua amorti." Il n’aura 71 ans qu’en 2017. Loin derrière, François Fillon garde confiance en sa campagne méthodique de long terme. Juppé le sage et Fillon le patient contre Sarko l’impétueux ? Si réductrice que soit l’image, elle confirme que la guerre des Trois aura bien lieu. Et qu’elle se jouera lors de la primaire de 2016.

la suite après cette publicité

>> Lire aussi : "France : Alain Juppé et Nicolas Sarkozy sont dans un bateau…"

Car il ne s’agira plus seulement de convaincre quelque 170 000 adhérents pour la plupart acquis d’avance. Mais d’une consultation quasi nationale ouverte à tous les électeurs que cette "avancée" démocratique devrait séduire comme elle a mobilisé les 2 millions de participants à la primaire du PS et contribué au succès de Hollande. Selon le calcul des anti-Sarkozy, elle ne peut qu’affaiblir l’ancien président, ne serait-ce que par l’effet mathématique de la multitude des postulants. Plus ils seront nombreux, plus grandes seront les chances d’affaiblir Sarkozy par un score inférieur aux sondages du moment, voire de lui imposer l’épreuve d’un second tour qui achèverait de redistribuer les cartes.

Le clan du revenant a bien vu le piège et prépare la contre-offensive. Devenu le maître du parti, Sarkozy en engagerait la refondation jusqu’à en changer le nom, en déménager le siège, en modifier les statuts et supprimer d’un trait de plume l’encombrante primaire. Mais ce miniputsch ne serait pas sans risque, puisque les statuts ont été approuvés par 90 % des membres du congrès.

À toutes fins utiles, Juppé envisage déjà de lier le choix du nouveau président de l’UMP à l’engagement de faire respecter la charte du mouvement. Fillon va plus loin : si Sarkozy réussissait à s’en faire dispenser, il l’affronterait au premier tour de la présidentielle. Mais l’ancien président n’en a cure : dès lors que l’idée de son retour est "dans les têtes et les esprits", il est convaincu qu’une "très grande partie du chemin est faite". Celle qui lui reste à parcourir ne sera pourtant pas forcément la plus facile. Toutes les élections présidentielles depuis de Gaulle se sont jouées sur le rassemblement et le changement.

Le paradoxe de Sarkozy est d’apparaître aujourd’hui meilleur rassembleur – quoique contre lui ! – des forces de la gauche que d’une opposition où il se heurtera au même dilemme qu’en mai 2007 : comment prendre des voix à l’extrême droite, où Marine Le Pen jouera de toute façon la carte du pire, sans les reperdre en plus grand nombre au centre, dont les chefs lui gardent une tenace méfiance ? Le plus influent d’entre eux, François Bayrou, lui conseille cruellement de se demander pourquoi de nombreux électeurs centristes ont voté contre lui il y a cinq ans…

"Tout changer dans la façon de faire de la politique"

Quant au changement, Sarkozy l’étend bien au-delà des ruptures de sa précédente campagne. Il promet de "réinventer le modèle démocratique" pour "tout changer dans la façon de faire de la politique" – sans autre précision. Reste à savoir si le chantre du coup d’éclat permanent saura s’appliquer la promesse à lui-même. Et si ce serment rebattu peut lui permettre de retrouver la confiance des Français, alors que le plus difficile est à venir : comment les associer à des réformes qu’ils approuvent dans leur principe, mais refusent dès qu’elles les atteignent dans leurs intérêts ou leurs habitudes.

Villepin rêve tout haut quand il conseille à Sarkozy de trancher les débats sensibles par des référendums promis d’avance à l’échec. Fillon est plus pragmatique quand il envisage de gouverner par ordonnance, mais ce courage risque de lui être fatal alors que gauche et droite entretiennent d’une même voix – celle de Sarkozy hier, celle de Hollande aujourd’hui – la dangereuse espérance que le redressement pourra avoir lieu sans les douleurs de l’austérité.

Pour les économistes qui surveillent la France à Bruxelles et à Berlin, c’est là le plus grave des dénis de réalité qui paralysent les gouvernants français depuis la crise et les empêchent d’en réchapper. La droite, oublieuse de son bilan et des 600 milliards d’aggravation de la dette, dénonce les atermoiements de la gauche sans lui opposer jusqu’ici d’alternative acceptable par une opinion "défiante envers tous les pouvoirs", de l’aveu même de celui qui est censé détenir le pouvoir suprême. Et pendant ce temps-là, le FN n’en finit plus de monter…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires